Texte historique tiré de notre magazine Le Vagabond N°3
Qui saurait situer Gotland sur une carte, expliquer l’origine de son nom ou dire quel a été son rôle dans l’Histoire ? Il y a des lieux, comme cette île de la mer Baltique, qui en leur temps ont fait couler l’encre et le sang. Des lieux qui ont sombré dans l’oubli, comme ces cogues et ces houlques chargées de dirham et d’épices venant commercer sur cette mer de tous les dangers.
 Exécution de Frères des victuailles sur l’île de Grasbrook
Une période mouvementée
Le XIVème siècle est marqué, en Europe, par le petit Âge glaciaire. Les récoltes sont moins abondantes et des famines pèsent sur des Etats alors affaiblis. De 1347 à 1353, la peste noire, venue d’Asie, décime la population européenne d’un tiers. Pour couronner le tout, dix ans plus tard, une tempête d’une violence extrême inscrite dans l’Histoire comme le raz-de-marée de la Saint-Marcel ravage les côtes Sud de la mer du Nord et tue plus de 40’000 personnes. La puissance de l’eau est telle que des villages entiers sont balayés et que les côtes seront modifiées à jamais. La mer des Wadden est née. Le monde féodal d’alors, établi sur la trinité église - noblesse - paysannerie, vacille. Pour la première fois dans l’Histoire, le peuple remet en question les privilèges d’une classe dirigeante tenant sa légitimité de Dieu.
Le raz-de-marée de la saint-marcel ravage les côtes Sud de la mer du Nord et tue plus de 40’000 personnes
Idéologies changeantes
Le peuple a soif de conditions meilleures et les idéologies changent sur terre comme en mer. La liberté, l’égalité et la justice sont des valeurs en vogue que la piraterie applique déjà . Lors de prises, le butin est partagé équitablement et la hiérarchie est loin d’être aussi verticale que celle appliquée sur les vaisseaux des flottes nationales. Mais revenons à notre terre, Gotland. En cette période de troubles, les Suédois perdent leur plus grande île. Le 27 juillet 1361, trois mille hommes débarquent sur l’île. Deux mille morts plus tard Visby, la seule ville fortifiée de la province, tombe aux mains des Danois. Et c’est à ce moment que tout se complique ! Car si l’envie de croiser le fer est toujours bien présente, cela ne se passe plus uniquement au niveau des Etats. Tout comme dans nos guerres modernes, les acteurs y sont multiples. Nous avons certes toujours les Etats, ici représentés par les couronnes. Mais également des industriels et des commerciaux, joués par les villes de la ligue hanséatique, ainsi que des entités privées. Ces dernières portent le statut, suivant leurs organisation et objectifs, de mercenaires, pirates, corsaires ou flibustiers. Leur but, tirer un maximum profit de la situation économiquement parlant.
 Carte des villes de la Hanse (en rouge) et des États teutoniques (en bleu) / XVème siècle
Piraterie en mer Baltique
Les Frères des victuailles, qui tirent probablement leur nom des troupes qui approvisionnaient l’armée au début de la guerre de Cent Ans, sont tout d’abord des corsaires. Légitimés par des lettres de marque signées, entre autres, par le duc de Mecklembourg, ancien roi de Suède, ils déclarent une guerre de course contre la marine marchande danoise. De plus, ils se voient autorisés à revendre leur butin dans les ports des villes de la ligue hanséatique. Mais le jeu des alliances est complexe et le nombre d’acteurs fragilise les promesses réalisées. Surtout si ces dernières sont passées avec des opportunistes, qui ont fait du malheur des autres leur métier. Lorsque la Hans se rapproche de la couronne danoise, la confrérie alors forte de plus de deux mille hommes et établie sur Gotland, ne semble plus avoir d’intérêt à l’échelle des nations. Paria, pour survivre, elle sombre dans la piraterie et se vend parfois au plus offrant en tant que mercenaire. Sa devise « Amis de Dieu, ennemis du monde entier » n’a donc jamais eu autant de sens qu’à ce moment. A cette période, lors de condamnation, l’appartenance à la fratres Vitalienses suffit pour que soit prononcée la peine de mort.
 Représentation des Frères des victuailles réalisée vers 1405 dans l’église de Bunge sur l’île de Gotland
La fin d’une confrérieÂ
Après l’accord de paix du 20 mai 1395, par lequel la Hanse, l’Ordre Teutonique, le Danemark et le Mecklembourg mettent fin aux hostilités, les ports de la Hanse sont fermés aux Frères des victuailles. La confrérie s’affaiblit. Divisée et sans territoire légitime, ses capitaines opèrent de manière indépendante et sporadique aussi bien dans la mer du Nord et Baltique qu’en Russie. Considérés en mer Baltique comme des pirates, ils n’y sont plus les bienvenus. Peu à peu ils migrent vers la Frise orientale où ils sont accueillis à bras ouverts. Là , en pleine mer des Wadden, ils offrent leurs services dans les querelles régionales et prendront part aux guerres franco-hollandaises.
Terre d’histoire
Gotland est une véritable terre de cocagne pour les historiens et archéologues. Influente jusqu’au XVIIIème siècle, elle tombe ensuite dans l’oubli et ne semble plus intéresser grand monde stratégiquement parlant. Durant la deuxième guerre mondiale, elle ne subira pas de bombardement, ce qui préservera, entre autres, ses églises et monuments, aujourd’hui fierté du comté. Ancienne plaque tournante du commerce, Gotland peut se targuer d’être le lieu en Europe où ont été déterrés le plus de dirhams arabes ; soit presque autant que dans l’ensemble du monde musulman. Ces monnaies sont arrivées sur l’île grâce au commerce entre les marchands varègues et le Califat abbasside. Pour se protéger des pilleurs, au fil des siècles, les Gotlandais ont pris pour habitude d’enterrer leurs biens. Stratagème qui n’a pas dû plaire à tout le monde puisque plus d’un insulaire a terminé six pieds sous terre riche d’un secret bien gardé. /OF
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