Ils étaient treize sur la ligne de départ. Onze ont franchi la ligne d’arrivée. Trois cents kilomètres entre ces deux instants éloquents.
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En amont de la première ligne, 6 mois et plus de 2600 kilomètres d’entraînement. Au-delà de la deuxième, la fin d’une histoire, mais un arbre des possibles.
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8 mars 2017, 9h22, douze des quatorze chiens revenus ce début d’année à Drevdagen s’engagent sur la piste de la Polardistans, tirant derrière eux un traîneau plein à craquer et un musher concentré.
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Ils ont auparavant passé le contrôle vétérinaire avec brio; palpés, sous-pesés, étirés, observés, triturés, ils sont jugés sains en tous points, exceptée une petite contracture pour Bil. Le règlement de la course est strict quant à la santé des chiens, au matériel que le musher se doit de posséder ou à  celui qui est prohibé. Les vétérinaires et les volontaires sont nombreux et s’assurent que chaque équipe répond aux exigences. Lorsque l’équipement de Pierre-Antoine est contrôlé, force est de constater que l’expérience forge une assurance qui invite à la confiance. Devant un vétéran des courses, le respect s’impose. Le contrôle s’effectue rapidement et dans une atmosphère joviale.Â
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Demeure une question cruciale: avec quels patins équiper son traîneau ? Qualité de neige et température sont les facteurs prépondérants de ce choix. Une rumination incessante dans la tête de notre musher, jusqu’aux derniers instants. Après un rapide essai inofficiel sur la piste de la course, la décision est prise, les patins sont changés. Le 7 mars à  minuit, le TeamHeritier est prêt. Enfin, presque. Quelques éléments restent introuvés et Pierre-Antoine consacrera sa nuit à les dénicher. Fonctionnels ou porte-bonheur, les sacs de dépôt de la Yukon Quest ne pouvaient manquer à l’appel. D’autant plus que sur les sacs de la YQ figurent le numéro 42, numéro identique à celui du dossard de la course à venir...
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Pierre-Antoine est inscrit dans la catégorie 300 km  - 12 chiens - race Husky de Sibérie. Arrivés au camping de Särna, là où la course débute, nous nous glissons dans une bulle isolée des stimulations extérieures. Une bulle où des effluves de stress embaument l’air. Une atmosphère que l’on tente d’apprivoiser, de gérer, puis de digérer. Se concentrer sur notre équipe. Répondre aux demandes et directives de Pierre-Antoine. Ne rien oublier. Devenir multitâches et placer ses espoirs dans une mémoire qui ne doit faillir. Masser les chiens mais ne pas oublier d’amener les gamelles supplémentaires vers le chargement. Atteler les chiens sans omettre de surveiller qu’aucun d’entre eux n’enlève ses booties ni oublier de placer le capital carnet-vétérinaire dans la poche du traîneau. La composition de l’attelage a été réfléchie la veille, dans le calme. C’est donc en chef d’orchestre décidé que Pierre-Antoine dirige. L’attelage est prêt, le dossard est ajusté, les chiens sont enflammés, la partie peut démarrer. 9h22, l’ancre est levée. Les quelques départs suivants nous font prendre conscience à quel point celui de notre team était fluide. Une excitation maîtrisée, une routine rôdée.
Notre activité de handleur est pour quelques heures mise de côté. Les 95 kilomètres qui composent la première étape nous laissent le temps de devenir spectateurs, ambassadeurs, observateurs, accompagnateurs, photographes. Les parents d’Olivier sont venus en bus-camping pour l’occasion. Lieu de chaleur et de confort mobile, nous en profiterons à plusieurs reprises au cours des 35 heures suivantes. Â
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La ponctualité n’est ici pas un caprice helvétique et le quart d’heure vaudois ne tiendrait lieu en aucun cas d’excuse acceptable. Etre présents lorsque notre musher arrive au check point est simplement un indiscutable. Tant et si bien que nous y serons à chaque fois avec plus de trois heures d’avance. Nous déposons à l’endroit prévu le sac de dépôt, rempli uniquement de la nourriture des chiens, seul élément que le musher n’a pas besoin de prendre avec lui dans son traîneau.
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A 16h45, Olivier troque sa casquette de photographe contre celle de handleur. Il va accueillir les chiens de tête de l’attelage et les mener à leur place de stationnement. Son champ des possibles s’arrête à cette menue tâche. Pierre-Antoine exécute le reste : aménager un lit de paille pour chaque chien, les soigner, aller leur chercher de l’eau, les nourrir… Les vétérinaires contrôlent les chiens. Ils sont tous jugés aptes à poursuivre. Des deux temps de pause obligatoires, Pierre-Antoine décide d’effectuer le plus long en premier, soit six heures. Si les températures négatives sont positives pour les performances des chiens, elles le sont moins lorsqu’il faut attendre. Une petite neige s’invite. Un maigre feu a été aménagé pour les handleurs et les mushers. Mais du bout de ses fragiles flammes, il arrive à peine à réchauffer ceux qui l’entourent. Si en fin d’après-midi cela ne gêne, plus la nuit avance et plus les mémoires se rappellent combien le confort d’un check-point peut en être autrement. Au fil des heures, au fil des étapes, une fine équipe se réunit autour du feu. Les handleurs s’y retrouvent, patientent, discutent, plaisantent. Les mushers s’y joignent par intermittence, lorsqu’enfin leurs tâches auprès des chiens sont terminées.
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A 22h45, notre équipe s’élance pour la seconde fois sur les pistes, à la seule lumière de la lampe frontale de Pierre-Antoine. 135 kilomètres et la nuit devant eux. Une étape suffisamment longue pour nous permettre de rentrer à Drevdagen et de nous reposer quelques heures.
Tôt le matin, nous sommes de retour auprès du feu qui n’a cessé. A 11h00 nos athlètes reviennent. La nuit a été pénible. La rudeur de l’étape se lit dans l’attitude des chiens, dans les traits des mushers. Cette fois, quatre heures d’arrêt obligatoires pour tenter de récupérer quelque énergie. La tentation de rester plus longtemps se fait sentir. Bien sûr, un arrêt plus long signifie un temps total de course plus long. Quand Pierre-Antoine réalise qu’il a une chance de terminer 3ème, il abandonne son idée de rallonger la pause et repart sans plus attendre. Dernière étape, 75 kilomètres. Ils ne sont plus que 10 chiens à reprendre la route. Zlatan et Igor, les deux plus jeunes, quittent l’attelage en raison de douleurs au poignet et à l’épaule.
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L’arrivée de la course se fait là où a eu lieu le départ. Une arrivée tout en discrétion, sans fanfare ni trompette. Un badaud ne pourrait se douter qu’ici même se disputent les championnats du monde de chiens de traîneaux. Seuls quelques volontaires et vétérinaires patientent près du panneau lumineux où le temps défie les impatients. Quand arriveront-ils ? Impossible de le savoir, le système de traçage GPS a depuis longtemps rendu l’âme. Et puis une lumière surgit. Notre team franchit la ligne en silence, sous les applaudissements des quelques personnes présentes. Ils ont l’air étrangement frais. Comment s’imaginer qu’ils viennent de parcourir 300 kilomètres et 2 jours et demi sans réel repos ? Seul Sid, en tête, s’étend de tout son long et témoigne de l’ardeur mise à sa tâche.
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A eux treize, ils viennent de s’offrir une médaille de bronze.
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Un par un, chacun à leur tour, Pierre-Antoine embrasse ses équipiers. Satisfaction d’avoir atteint le but, fierté de l’effort accompli, reconnaissance envers la vaillance de ses chiens. Entre eux, peu de mots, mais des sentiments que l’on devine.
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Des sentiments qui ma fois nous habitent également.
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Une ligne d’arrivée. Une simple trace dans la neige qui signifie tant. Témoin de la fin d’une course, symbole de la fin d’une histoire. Samedi dernier les chiens sont rentrés en Suisse. Une fleur se meurt mais la plante issue de cette relation inattendue demeure. Un jour peut-être, qui sait, si le climat est propice, si le vent caresse, si le soleil scintille, si la pluie nourrit, il se pourrait qu’alors une nouvelle pousse éclose.
Fin de l'aventure huskies
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