Nombreuses sont les raisons qui nous ont poussés à nous aménager un hiver au Nord. Les aurores boréales en font partie. Sur la base de photographies, de récits, de notions scientifiques, nous avions élaboré une image toute intellectuelle de ce phénomène. C’est forts de cette représentation que nous scrutions le ciel en quête d’une véritable, d’une authentique aurore polaire.   Â
Â
Il y a quelques nuits, nous avions bien cru en être les heureux spectateurs. Le temps de quelques clichés et d’une observation plus réfléchie qu’émotionnelle et nous nous rendons compte, un peu penauds, que la pleine lune et son damier nuageux se sont joués de nous.
Â
Et puis, la nuit dernière, ne trouvant le sommeil, j’entrouvre la fenêtre pour aérer la chambre. Tiens, le ciel est dégagé ! Olivier suggère que tant qu’à faire, pourquoi ne pas aller vérifier si le ciel ne donnerait pas une représentation ce soir… Consciente de notre destin farceur qui aime à nous illusionner de manière habile, je sors et dévisage le ciel, en chemise de nuit, pieds nus dans la neige. C’est dire si mon espoir est ténu. Trois rais de lumière s’élèvent verticalement de l’horizon au firmament. « Olivier, je crois qu’il y a une aurore boréale, mais je ne pense pas que cela vaille la peine de prendre ton appareil photo. » Néanmoins, j’enfile quelques couches supplémentaires et Olivier embarque son fidèle compagnon. Nous filons à pas pressés là où notre lampadaire abandonne son éclat à l’obscurité. Et tout à coup le ciel s’anime. Les rais ont disparus, mais d’autres, plus grands, plus nombreux, plus dynamiques ont pris possession du ciel étoilé. Et puis ce dernier se met à trembler. Dans un orage magnétique, des vagues de vibrations nous passent au-dessus, furtivement, et balaient pas moins de la moitié de la voûte céleste. Dans un tel moment, temps et espace perdent leurs repères. Le froid n’existe plus, seule cette danse des particules nous électrise, une demi-heure durant.Â
Â
J’imagine un sorcier céleste, quelque part là -bas, à l’horizon, là où émane une lumière phosphorescente mystérieuse. Il doit probablement s’agiter devant un énorme chaudron, complice de l’énergie du vent solaire, en quête d’une quelconque potion. Pour peu nous l’entendrions grommeler et incanter des paroles incompréhensibles. Les vapeurs s’échappent de sa marmite, font vibrer le ciel entier comme les pulsations d’un cœur agité, et disparaissent aussitôt.
Â
D’autres, bien avant moi, ont imaginé un renard polaire parcourant furtivement les vastes étendues enneigées, éjectant ainsi de la poussière avec sa queue dans le ciel, créant une aurore boréale le long de son passage. D’autres croient que les âmes des morts jouent à la balle avec des crânes de morses. Ou que les morses jouent à la balle avec des crânes humains (croyances des peuples Samis, Inuits et du Nunavut).
 Â
J’imagine… Et j’admire.
Magie lumineuse
L’objectivité de la photographie est morte le jour ou M. Nicéphore Niepce a immortalisé la vue offerte par sa fenêtre. L’aurore boréale en est peut-être le paroxysme. Habitués à voir dans des magazines cette « sorcellerie céleste » verte phosphorescente et drapée comme la robe d’une danseuse de flamenco, la réalité peut une fois de plus être un rien décevante. Le temps de pause est le principal fautif ou héros. Trente secondes d’ouverture et le blanc dévoile ses reflets verts, les courbes se dessinent comme la queue d’une étoile filante. L’aurore boréale est belle, se dévoilant sous ses deux visages, une fille de Janus perdue là où rayonnent les étoiles.
Article précédent     Retour au blog     Article suivant  Â