Tel un chat blotti dans les replis d'un édredon, accroupie sur un étroit banc en bois je me tiens. Non que nous ne jouions à Chat perché, simplement que ce siège de fortune est celui qui se trouve le plus près du poêle. Ce dernier lui aussi a 4 pattes, reposant de justesse sur des briques pour l'isoler du froid. Ou serait-ce pour lui offrir les quelques centimètres manquant à l'édifice ? Quoi qu'il en soit, il turbine sans relâche depuis hier soir pour élever non son âtre mais la température de la petite cabane où nous avons trouvé refuge. Il était temps. Petit à petit, au fil des heures et des bûches qui viennent alimenter le brasier, nos affaires enfin sèchent. « Aline, le feu s'éteint ! » s'exclame Olivier tout en essuyant la toile de tente suspendue aux crochets en bois au-dessus de nos lits, leur offrant ainsi des airs de baldaquin. « Aline, j'ai pas l'impression que ton feu ait repris... » C'est qu'il ne suffit pas de le nourrir, notre ami de fonte, il faut en outre lui donner de l'attention, ce que je manque à faire lorsque plongée dans mon carnet. Sous mon nez, perchées à la même enseigne que moi, nos chaussures encore gorgées d'eau patientent. Quelques taches plus claires témoignent de la lente évolution de leur condition et nous permettent de ne pas perdre l'espoir que demain, elles ne seront si ce n'est sèches, du moins, moins trempes. Hier, elles ont parcouru quelque vingt kilomètres pour atteindre ce lieu, motivées par la perspective d'une trêve avec l'humidité. Cette dernière s'est clairement affirmée en ce premier jour du mois de mars. Le constat fut sans appel dès l'aube ; des gouttes d'eau sur notre toile de tente ?! Nous étions jusqu'alors habitués à y voir du givre, de la glace, de la neige... Mais pas de l'eau ! Le jour précédent encore, alors que nous déjeunions dans la chaleur résiduelle de nos sacs de couchage, quelques gouttes d'eau sont tombées du thermos sur le fond de la tente. En fin de repas, Olivier a pu saisir le petit bloc de glace en lequel elles s'étaient transformées pour les jeter à l'extérieur. Il n'y a pas de petit bénéfice lorsqu'il s'agit de lutter contre l'humidité.
Alors que nous faisions nos au revoir à Luleå, le 12 février, le thermomètre affichait -30°C. Ce qui n'a pas découragé nos amis à venir partager ensemble un dernier café. A l'extérieur bien sûr. Et sous leurs regards bienveillants, un peu inquiets pour certains, dans leurs émotions et les nôtres, nous avons enfilé nos harnais, attelé nos semi-pulkas et fait nos premiers pas dans cette aventure un peu folle. C'est accompagnés de Matthieu et Tim, sous les caméras de Passe-moi les jumelles, que nous quittons ce lieu qui désormais raisonne avec les mots « chez nous ». Je me suis d'ailleurs surprise il y a quelques jours à répondre à Olivier qui me questionnait sur la provenance d'un tube d'épices : « Il vient de la maison ! »
Durant quatre jours, la Baltique gelée nous sert de route. Etrange concept que d'imaginer qu'alors nous serpentons dans une fraîche neige sur cette immense étendue blanche, poissons et autres êtres marins se fraient leur propre itinéraire juste au-dessous de nous... Comme pour eux, nous n'avons ni trace ni limite dans nos déplacements ; nous créons notre piste. Ou plus exactement, Olivier, au prix d'un effort intense et d'une volonté de fer, crée un sillon dont je profite ensuite. Les premiers kilomètres mettent en lumière ce qui a lieu d'être adapté dans nos installations. Car si nous nous étions entraînés à la marche avec assiduité durant l'hiver, nous n'avions pu le faire avec le matériel ni les conditions réelles de voyage. D'ailleurs, se prépare-t-on à la vie ? Ou ne nous adaptons-nous pas au fur et à mesure qu'elle se révèle ? Il a fallu modifier les distances des pulkas de l'attelage du kayak double, pour optimiser la gestion de la direction. Puis réorganiser les affaires dans les pulkas pour améliorer la stabilité des bateaux fixés dessus. Et enfin installer le grand kayak sur les semi-pulkas les plus basses, pour diminuer la fréquence des renversements lorsque les traces glacées de motoneige  guident les pulkas dans des positions d'équilibriste. Mais avant tout, ce qui est génial, c'est que les conceptions d'Olivier fonctionnent et notre caravane avance ! L'emploi quotidien de cette composition atypique en révèle également ses avantages. Les pulkas de deuxième position, grâce à la construction en bois, offrent un espace de stockage facile d'accès en journée, sans avoir besoin de démonter l'attelage. Les piquets de fixation à GoPro font également office de penderie ; notre drapeau, ondoyant fièrement sur son support en bois, attise la curiosité des quelques personnes que nous croisons.Â
Jour après jour nous prenons nos marques, développons des stratégies pour s'économiser face au froid, adoptons un nouveau rythme quotidien. Du réveil jusqu'au démarrage de la marche, deux heures nous sont généralement nécessaires dans cet environnement polaire. Tout prend du temps. Parvenir à enfiler ses chaussures gelées requiert parfois plusieurs longues minutes. Plier les trois sacs qui composent notre couchage est fastidieux lorsque les revêtements glacés exigent le port de gants. La mise en place du campement elle aussi occupe une grande partie de notre journée. Damer au mieux l'emplacement, installer les kayaks et les pulkas qui offrent des lieux d'attache pour la tente, déployer notre maison de toile, la fixer, dégivrer l'intérieur, installer les couchages... Le simple fait de marcher autour du campement avec les raquettes pour ne pas s'enfoncer jusqu'aux hanches, tout en enjambant les fils de la tente, demande concentration et chaque pas devient un geste réfléchi. La plupart du temps, j'installe le campement alors qu'Olivier gère la question de l'eau et du repas. Car si nous avons autour de nous une source actuellement intarissable de neige, la transformer en un liquide tempéré au moyen de notre réchaud à gaz prend plusieurs heures. Le repas une fois terminé, nous nous réfugions dans notre tente, où seul le fait d'avoir chaud suffit à nous satisfaire et bien souvent nous nous endormons avant 18h30.
A Råneå débute la Malmensväg, route empruntée jusqu'en 1882 par un autre type d'attelage: des rennes tirant des traîneaux remplis de plus de 800 kg de minerais, depuis les mines de fer proches de Gällivare à la mer Baltique. Le long de cette piste historique nous découvrons quelques petites cabanes ouvertes qui nous permettent de faire sécher nos affaires et parfois de faire un brin de toilette. C'est autour de l'une d'entre elles que nous retrouvons Ulrika, une journaliste freelance souhaitant nous rencontrer en cours de route. Vers Gunnarsbyn, je contacte Anna, la journaliste radiophonique qui nous avait interviewés à Luleå, sachant qu'elle habitait ce petit village. C'est ainsi que nous faisons la connaissance de son mari, Fredrik, qui nous ouvre les portes de ses connaissances de la région ainsi que celles d'une incroyable maison ordinairement louée aux vacanciers. « Dans une quarantaine de kilomètres, à Spiken, il y a une stuga. Je vous donnerai le code d'accès pour la maison. C'est le même qui ouvre la porte du bûcher ainsi que celle du sauna. » Nous nous y sommes offert notre première journée de repos. Fredrik nous avait dit également « Si vous avez besoin de quoi que ce soit, écrivez-moi.» Ce que nous avons fait lorsque Olivier découvre après une journée de marche que ses deux raquettes à neige sont cassées. Ainsi nous retrouvons notre homme, au cercle polaire précisément, venu nous amener 2 paires de raquettes. Si jusqu'au cercle polaire ces dernières étaient indispensables, nous avons dès lors pu marcher sans, la qualité de la piste étant suffisamment bonne pour évoluer avec nos chaussures uniquement. Le paysage et le dénivelé changent eux aussi; des forêts denses et du up-and-down nous débouchons sur de grandes plaines immaculées où le kilomètre-effort rejoint la distance parcourue. Par contre, une constante jusqu'à présent, celle du ciel couvert et de la timidité du soleil qui vient à réellement nous manquer.
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Demain, nous reprenons notre lente migration nordique et arriverons aux portes de Gällivare, ville clé sur notre parcours où notre objectif premier sera le réapprovisionnement. / AG
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