Assise à l'abris du vent dans un shelter en bois, faisant face à la mer encerclée de roseaux et de forêts lui offrant des airs de lacs, je n'entends plus que le vent froisser les feuilles de ces plantes des rives. Tout est calme, seules dansent les branches souples des pins qui font vibrer le ciel gris, ainsi que les fines tiges des graminées qui tremblent sous l'effet d'une force invisible. Non loin, la balançoire, fragment de bois soutenu par deux cordes roses, timidement invite au jeu. Les insectes se sont tus ; peut-être en raison de la pluie. Le bêlement d'un mouton rompt avec la mélancolie de l'instant en me rappelle que non, nous ne sommes pas seuls.
Il y a quelques heures encore, ce lieu était ampli d'un quatuor de voix et était le théâtre du tournage de scènes de vie. Un décor naturel pour partager une vie simple et authentique, la nôtre. Une vie qui est devenue pour nous la norme mais qui, de par le regard de nos colocataires d'un temps, de par la présence des caméras et de l'intérêt dont elles sont le véhicule, nous rappelle qu'elle n'est pas si ordinaire. L'équipe de Passe-moi les Jumelles, Matthieu et Tim, sont repartis à la mi-journée après cinq jours de partage. Une session centrée sur notre vie à terre, cette vie de tous les jours que l'on appelle vie quotidienne, qui s'est installée depuis que l'environnement et la temporalité nous l'ont permis. Des activités somme toute élémentaires mais qui ouvrent la porte à l'intellect. Et derrière des allures de simplicité se tapit un réseau de réflexions, se dévoilant à qui prend le temps de s'y arrêter. Faire la lessive nous emmène sur le chemin de notre lien à l'hygiène, idéologie que l'on tente d'essorer des préconçus sociaux. Lire dans notre tente interroge sur notre conception du terme « maison ». Cueillir des pommes permet de saisir notre relation à la Nature.
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Mais avant cette rencontre, quelque trois semaines de vagabondage patientent d'être narrées.
Si le temps avait besoin de nous prouver qu'il file à sa guise, il le fait en nous mettant face à ce constat éloquent. Nous avions terminé le récit précédent à la veille de nos retrouvailles avec Christian et Danièle, les parents d'Olivier. Ce matin, nous les avons quittés alors qu'ils entament leur retour vers la Suisse. Entre nos deux retrouvailles, ils ont atteint le Cap Nord à bord de leur bus-camping, ont traversé des contrées finlandaises, norvégiennes et suédoises, se sont rendus à notre ancienne propriété de Bonäset pour rapatrier nos dernières affaires, ont croisé des rennes et des sourciers... De notre côté, le nombre de kilomètres est certes quelque peu moindre et les contrées traversées se limitent à celles des archipels de Blekinge et de la côte de Kalmar. Mais les îles y sont si nombreuses, la Nature si accueillante, la chaleur des journées ensoleillées si agréable, qu'en une pirouette le temps nous bluffe. Tant de temps s'est écoulé ; est-ce possible ? Il y a des signes qui ne trompent pas. Alors sur le Rhin, les oies ont accompagné notre migration vers le nord. Aujourd'hui, nous les voyons se regrouper pour entamer leur retour vers le sud, tandis que nous continuons à progresser vers son opposé.
Sur les îles des archipels, dédale que nous prenons plaisir à sillonner, les ronces à mûres nous accueillent immanquablement. Plus nous avançons dans la saison, plus les fruits deviennent beaux, charnus, goûtus, jusqu'à leur apothéose sur l'île de Ütlängen. Installés alors au pied d'un phare, douché par une pluie qui enfin nourrit cette terre trop sèche, nous profitons des accalmies pour se remplir la panse de ces baies noires. Des petites sucrées aux plus grosses juteuses, il n'y a qu'à se servir. L'envie d'en faire de la confiture me démange, mais une interdiction de faire des feux sévit dans le comté en raison de la sécheresse, et ce n'est pas cette journée orageuse qui aurait suffi à compenser les mois sans eau.
Il n'est pas rare de se trouver seuls habitants d'une île sauvage le temps d'un bivouac et nous prenons plaisir à trouver ces terres où l'on se sent bien, reconnaissants de cette Nature préservée. Sur l'une de ces petites îles, c'est un pommier que l'on découvre. Riche de ces cadeaux, ma tasse d'avoine du petit-déjeuner s'en retrouve sublimée et chaque matin je remercie cette Nature généreuse. Je ne peux m'empêcher de me dire qu'il y a fort longtemps, à eux seuls ces fruits de la Nature nourrissaient les humains. A ce jour, je « m'extasie » devant ces quelques ornements qui viennent contraster d'avec la nourriture achetée en magasin... Convaincue qu'un équilibre différent peut être créé, il me faut acquérir plus amples connaissances sur ce qui se trouve autour de moi. La Nature est là , mais je ne sais encore la déchiffrer. Alors, nos livres en mains, nous apprenons. Ainsi je découvre que l'arbre qui se trouve à côté de ma tente est une aubépine et que ses fruits peuvent être consommés en confiture ou en purée. Cet arbre présent à mes côtés depuis plusieurs jours n'a pas changé, seul mon regard a évolué. Il y a tant à apprendre... (...) (partie 2 dans l'article suivant) / AG
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