Ce matin, c’est d’une manière routinière que nous entamons notre journée. Levé à six heures trente, déjeuner pour les bipeds puis trajet jusqu’à Drosbacken. A douze kilomètres de Drevdagen, notre pied à terre, Drosbacken est un petit village d’où part une piste forestière. Là , nous y effectuons notre entraînement quotidien. En milieu de matinée nous sommes de retour au chenil. Pour le bien-être de nos quadrupèdes nous les lâchons dans leur parc. Ceci afin qu’ils puissent se délasser comme le ferait un athlète après un effort. Mais attention, ne pas libérer les 18 huskys en même temps ! Toute personne ayant fréquenté l’école d’études sociales et pédagogiques de Lausanne, comme je l’ai fait, vous dira : le niveau comportemental d’un groupe est inférieur au niveau moyen des individus qui le composent. Et après quarante mille ans de civilisation cette règle s’applique autant à l’homme qu’à l’animal. Nous divisons donc le groupe en deux. Depuis notre arrivée en Suède, il y a comme un courant électrique au sein de la meute. Les mâles s’excitent pour un rien, les femelles se cherchent entre elles. Et cela n’est pas sans raison. Pelly, notre petite chienne blanche, va avoir ses chaleurs. Les mâles peuvent le sentir jusqu’à un mois avant les premiers saignements.
es chiens couratent, s’amusent dans ce fragile équilibre qu’est la meute. Nous profitons de ce moment pour effectuer quelques menus travaux comme ramasser les crottes ou nettoyer les Vari kennel du bus. Curieux, un chien s’approche. Furious montre un intérêt tout particulier pour mon travail, l’examine comme le ferait un patron soucieux de la qualité de ses produits. Mais le « patron » c’est moi. Je le prends donc au collier et machinalement le pousse en arrière. Un geste anodin pour moi et cet animal. Un geste particulier pour l’équilibre de la meute. Dominique notre voisine nous expliquera qu’en repoussant ce chien, j’affirmais mon statut de chef et que par conséquent Furious ne l’était pas. Une situation en or pour un rééquilibrage de la hiérarchie. Mon geste pas encore terminé, Elvis lui saute à la nuque en fermant ses crocs dans les chairs tendres de ma main. Deux puissants trous d’où s’écoule mon sang. L’assaut d’Elvis encourage trois autres chiens à entrer en piste. Le temps défile au ralenti tout en courant à une vitesse folle. Instinctivement je lève la voix, dégage avec les jambes ce chien qui ne peut repousser seul les assauts répétés de ses pairs. Les assaillants sont en nombre. Seul, puis aidé d’Aline alertée par mes appels, nous ne pouvons faire face à cette situation. Comment faire lorsque l’expérience nous manque cruellement ? Une image me traverse la tête. Un char antiémeute allemand arrosant une foule de revendicateurs récalcitrants. Je m’arme d’un arrosoir et asperge. La surprise est telle que chaque bête se fige sur place coupant net cette chimie cérébrale qui les pousse à un tel agissement. Ma main saigne, mais les chiens vont bien. Furious est légèrement blessé à une cuisse, ce qui n’inquiète que peu nos voisins, experts en la matière. Une heure après ce malheureux événement Aline me conduit à Särna, une petite ville équipée d’un dispensaire. Puis on rentre. Seulement quelques heures se sont écoulées depuis notre levé et nous avons : découvert la petite ville de Särna, eu un aperçu de la vie d’un dispensaire de province suédoise, appris comment agir quand une femelle est en chaleur au sein d’une meute, observé le fragile équilibre de cette dernière, réappris qu’en cas de crise nous trouvons des solutions et enfin constaté que je suis capable de taper un texte avec une seule main. C’est sûr, ce matin, on ne s’est pas levés pour rien.
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