Nos hôtes nous ont transmis leur adresse, laquelle nous mène tout droit...en prison. Devant l'entrée principale de l'établissement pénitencier, nous hésitons... Imaginer deux touristes à vélo franchissant un lieu hautement sécurisé nous laisse sceptiques sur l'exactitude de notre itinéraire. Ne voyant pas d'autre chemin d'accès, nous tentons. Olivier, plus au fait des règles à respecter dans ce type d'environnement, me dit "Aline, descends de ton vélo !". Mais ne voyant aucun garde au portillon, je pèse avec précaution sur ma pédale, comme si la douceur du geste pouvait naïvement me rendre moins visible. Ainsi nous roulons dans l'enceinte et trouvons bel et bien l'appartement de nos hôtes, Wen-Wei et Joyee. Wen-Wei est en réalité l'un des gardiens de la prison. Il est également artiste et écrivain. De par son art, il se fait porte-parole d'une réalité carcérale souvent bien éloignée des Droits de l'Homme. C'est avec un profond respect que nous écoutons les récits de ce couple qui a choisi de faire passer leurs valeurs avant leur carrière, avant leur réputation, leur sécurité. Car il ose décrire ce qu'il constate, il s'est fait muter à l'extérieur des murs de la prison, là où il ne pourra pas avoir de contact avec les prisonniers.
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Le couple est également une mine d'or d'informations et peut ainsi répondre à toutes nos questions demeurées jusqu'alors sans réponse. Nous levons enfin le voile sur l'issue des offrandes alimentaires faites dans les temples. En réalité, le fidèle qui amène la nourriture en offrande la reprend en partant, après avoir attendu au minimum que ses bâtons d'encens se soient consumés de moitié. La nourriture est ainsi bénie et sera source de nombreux bienfaits pour qui la mangera. Mais elle ne peut être ingérée que par des fidèles de la même confession ! Une amie chrétienne du couple s'assure de ne jamais manger de nourriture provenant d'un temple, car celle-ci lui crée des problèmes digestifs. Avant d'arriver chez Wen-Wei et Joyee, j'avais acheté un ananas en guise de petite attention. Celui-ci étant coiffé d'un joli nÅ“ud rouge, il avait à mes yeux la parfaite allure d'un cadeau. Le regard surpris de nos hôtes m'avait fait penser qu'ils ne s'attendaient pas à ce que nous amenions quelque chose. Mais lors de la visite au temple du quartier, ou Joyee nous aide à décrypter cet univers religieux, je retrouve mes ananas à ruban, trônant fièrement sur la table des offrandes... Nous comprendrons également que la religion ici est un mélange de bouddhisme et de taoïsme. Ou comment faire cohabiter des dieux de religions différentes dans une même maison. Wen-Wei nous montre une photo où sont assis, côte à côte, Bouddha, Jésus et Mohamed.Â
Wen-Wei nous montre une photo où sont assis, côte à côte, Bouddha, Jésus et Mohamed.
Le voisin du couple se révélera quant à lui être une caverne d'Ali Baba version mécanique de vélo. Et malgré ses 24 heures de garde, il nous aide à  réparer tout ce qui devait l'être avant d'aller enfin se coucher. Pour couronner cette rencontre, Wen-Wei et Joyee nous organisent un splendide barbecue devant leur maison le soir avant notre départ. Face à tant de générosité, je me dois de remercier chaleureusement nos hôtes avant de partir. Mais la notion d'au-revoir est culturelle. Depuis le temps que nous voyageons, je le sais, mais je peine à m'y résoudre. Alors que dans mon imagination se déroule une scène solennelle où j'exprime ma gratitude, la réalité m'oblige à revoir le scénario. Wen-Wei s'en va à son travail comme tous les matins et Joyee retourne se coucher en précisant simplement de refermer la porte derrière nous lorsque nous partirons.Â
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