Estonie
Arrivés à Tallinn à 00h45, nous devons désembarquer sans attendre. Devant nous se tient une ville calme et silencieuse, plongée dans une obscurité dont nous n'avions plus l'habitude. Comme pour confirmer que nous avons franchi une étape, les lueurs claires orangées du Nord se confinent à un horizon qui désormais nous échappe. Nous entrons dans le bâtiment portuaire en quête d'un lieu pour passer les premières heures du jour. Un sécuritas nous fait rapidement comprendre que cela n'est pas possible, dans un anglais moins certain que l'autorité du ton : « You go out ! Right now ! » Après une analyse des environs, nous adoptons l’arrêt de bus non loin. A 4h00, la luminosité a envahi la ville et nous autorise à débuter notre journée. Nous arpentons les rues de cette cité fortifiée que nous avions découverte douze ans auparavant. Les ruelles étaient alors animées, les étals installés, les marchands et promeneurs bruyants. En ce samedi matin, seuls nos vélos rebondissant sur les pavés rompent le silence des balbutiements du jour. Et puis, petit à petit, la vie urbaine renaît, la ville se réveille alors que la fatigue nous étreint. C'est baignés de cette atmosphère singulière dont seule l'aube a le secret que nous reprenons la route dans un pays qui nous est encore inconnu.
A l'heure où je rédige ces lignes, nous venons d'entrer dans le troisième pays balte. Notre arrivée dans ce triptyque à la fois semblable et différent me paraît lointaine. Pourtant, c’était il y a une dizaine de jours seulement. Nous traversons ces petits pays en un patchwork de routes principales et secondaires, de routes asphaltées et de pistes. Nous composons l’itinéraire en fonction des informations que nous collectons aux offices du tourisme et de notre compas orienté au sud. De Tallinn à Visaginas, les villes et villages témoignent de l'histoire mouvementée de leur pays, de la succession tumultueuse de ses envahisseurs. A mon regard, c’est l’hétérogénéité architecturale qui la raconte le mieux. Blocs de béton impersonnels, petites maisons poétiques en bois, villas modernes au design libertin. Eglises orthodoxes, catholiques ou luthériennes. Du neuf, de l'ancien, de l’abandonné et de la ruine. Du collectif, du privé, de la communauté à l'interdit. Mais surtout et partout, de la végétation, des pins gigantesques, des fleurs sauvages multicolores. Et des jardins bucoliques soignés bien plus que les bâtiments.Â
Â
Habitués par la Finlande à suivre les yeux fermés les pistes cyclables, nous nous fions aux panneaux de la côte estonienne. Ainsi nous nous retrouvons devant une pancarte où il est inscrit « And now, a trail on the beach ! » Une farce proclamée avec beaucoup d’enthousiasme. Non seulement nous devons longer la mer sur une plage de sable et traverser des pierriers, mais nous devons également descendre des escaliers escarpés pour y accéder. Nulle autre solution que de décharger les vélos et de porter, étape par étape.
Ainsi nous nous retrouvons devant une pancarte où il est inscrit "And now, a trail on the beach!"
A Riga, nous optons pour le camping. Arrivés à la première des deux options, nous restons indécis ; le lieu est un peu trop ordonné et dénué de charme. Arrivés au deuxième camping, c’est sans aucune hésitation que nous retournons au premier. Finalement, nous y sommes bien et la douche est une véritable oasis de bonheur. En cours de séjour, nous recevons une réponse positive d'un membre de warmshower. Nos voisins suédois, nous voyant empaqueter nos affaires, nous demandent curieusement :
- Jusqu’où allez-vous aujourd’hui ?
- Jusqu’à Riga.
- Ah oui, en effet, cela doit faire au moins deux kilomètres. Vous faites bien de vous y prendre assez tôt.Â
Â
Et en effet, deux kilomètres plus loin, nous rencontrons Aldis. Un Letton né en Australie d'un couple immigré durant la deuxième guerre mondiale et revenu au pays à la fin de la guerre froide. Une période chaotique où tout était possible mais rien n’était certain. Lui a monté une entreprise de design d'objet-souvenirs et est sur le point de mettre sur roue son propre vélo en titane. Aldis nous prête sa chambre, à nous ainsi qu'à Toby, un cyclo belge. Quant à lui, il dormira sur un matelas posé dans son local de stock. De l'art dans l’hospitalité. Le 23 juin se célèbre la fête de l'été, un événement important dans les pays baltes et nordiques. Une fête qui se vit principalement dans les campagnes, mais dont la capitale a aussi fait sienne, en y ajoutant peut-être une touche contemporaine. Musiques et danses folkloriques, mise à feu d'un bûcher, couronnes de feuilles de chêne ou de fleurs, jeux d’échasses… le solstice d’été est accueilli avec force et entrain. Un enthousiasme qui nous séduit et qui nous mène sur la piste des danses traditionnelles.
Â
Depuis Riga, nous longeons la Daugava jusqu’à la ville de Daugavpils, à l'extrémité sud-est du pays. Entre la Lettonie et la Lituanie, l’illustration parfaite de ce que l'on appelle la fermeture des postes frontières : un bâtiment dont toutes les ouvertures ont été murées. C’est un décor d'une douceur engourdissante qui nous attend en Lituanie. Des champs, des prairies, de la forêt, des fleurs, et pour ainsi dire pas âme qui vive. C’est dire si le contraste est saisissant lorsque de cette végétation nous débarquons à Visaginas. Une ville construite durant l'ère soviétique dans le but unique de loger les ouvriers d’une centrale nucléaire aujourd’hui désaffectée. Une concentration d’immeubles en béton, d’aménagements en béton, de parc-loisirs en béton, de paniers de basket en béton. Et en brique. Du gris, du rouge. Une touche de bleu, celle d'une récente église orthodoxe. Durant quelques heures, nous sommes projetés en Russie, désorientés par cet environnement massif. Mais là où s’arrêtent les bâtiments, le profil sécurisant de la forêt apparaît.
Article précédent     Retour au blog     Article suivant Â