Norvège
Dix hommes se tiennent debout sur le bas-côté d'un chemin. Ces dernières semaines, ils les ont passées à creuser leur tunnel. Le ciel est fidèle à lui-même, gris et pluvieux. Quelques flocons se mêlent à la pluie rappelant que l'hiver est encore là . Traversant l’averse, faisant fit du mauvais temps, le métal vole puis foudroie ces vies qui n'aspiraient qu'à un peu plus de dignité, à un peu plus de liberté. Ils étaient Russes et comme 95'000 de leurs compatriotes, ils ont été déportés en Norvège. Prisonniers de guerre, soldats ou civils, le troisième Reich a un projet et ils en sont les ouvriers. Stratégique pour son minerai de fer et mère d'un peuple arien, la Norvège est au cœur même de l’idéologie nazie. Le port de Narvik, qui malgré sa position géographique est hors gel toute l'année, est l'une des pièces maîtresses du plan allemand. Hitler veut de l'acier et cette ville qui est déjà reliée par le rail à Kiruna (Suède) peut lui en fournir plus que de raison.
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La côte norvégienne est ponctuée d’anciennes forteresses SS qui sont toutes orientées en direction de l'Atlantique. Leur but, protéger les vraquiers chargés de minerais qui voguaient en direction de l’Allemagne. Aucune infrastructure défensive en direction des terres. Ce manque de prudence m’interpelle. Au cours d'une discussion avec un autochtone entre deux âges, j'apprends que petit, il devait rejoindre en bateau le village où l'on se trouve actuellement. La route que nous avons empruntée n’existait pas et aucune route ne reliait le sud du pays au nord. Pas de route, pas de fortification sur l'arrière des forteresses. Pas de route, des Russes, des Polonais, des « Yougoslaves », pour en construire une. L'idée folle du Führer était de relier le nord au sud dans un but purement militaire. Eviter le blocus maritime allié et construire des aéroports d’où lancer une offensive aérienne sur la Grande-Bretagne. Mais l’Histoire ne s'écrit pas en avance. L’État-major allemand connut sa première défaite à Narvik en 1940 où le port annexé depuis peu redevint norvégien. Une bataille navale d’envergure s'y déroule ainsi que de rudes combats dans les montagnes entourant le fjord de la ville. Le froid joue en faveur des assaillis, qui aidés de troupes françaises, anglaises et polonaises remporte la bataille. L’armement dysfonctionne en raison des températures négatives et les torpilles allemandes dévient de leur trajectoire dû à  la proximité du pôle.
Vue depuis l'un des bunkers
Un Nord norvégien pauvre et en retard sur son époque qui découvre ses premières bombes comme ses premières pièces de monnaie avec l'arrivée de l'armée allemande. Considérés comme alliés par les nazis, les Norvégiens étaient payés pour leur travail. L'Histoire a ses histoires… Aujourd'hui, il se raconte que les soldats allemands n'ont pas été perçus comme des « méchants » (à l'exception de la gestapo). Occupée pendant quatre ans, à une époque où quatre hommes sur dix en Norvège étaient allemands, des amitiés se sont formées et persistent encore de nos jours. Aujourd’hui, les Allemands sont nombreux à débarquer chaque année en Norvège, armés de leur canne à pêche et avec une furieuse envie de prendre du bon temps. De nombreuses stèles et cimetières rappellent qu'à une autre époque l'Europe s'entre-déchirait, que pour certains la vie n’avait pour valeur que celle de faire prospérer l’État et que la différence était raison suffisante pour engendrer la méfiance, la haine et la violence. Mais ceci était une autre époque…
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