Nous passons deux jours à Chengdu, chez Senlin, dont l'hospitalité reflète sa propre expérience du voyage à vélo au long cours. Nous achetons les quelques éléments manquants pour notre expédition sur les plateaux tibétains. À savoir des cartes routières et des chaussures adaptées aux conditions climatiques qui nous y attendent. Faute de trouver mieux, nous faisons l'acquisition de bottes en plastique au rayon pêche du Décathlon de la ville. Le départ se fait en douceur puisque nous sommes hébergés par la maman de Senlin et son ami, habitant sur notre route. À notre arrivée, Zhou (la maman) nous installe sur le canapé du salon puis nous amène un plat de kumquats et du thé, à déguster pendant que le couple s'affaire en cuisine. Devant le plat de fruits, Olivier hésite. "Tu manges la pelure toi ?" demande-t-il en s'évertuant à enlever la peau du petit fruit. "Ben oui!" dis-je en n'en faisant qu'une bouchée. "Mais c'est acide", remarque-t-il perplexe. Zhou revient vers nous et me dit, en me donnant une tape sur la cuisse, "Mangez encore!" Elle prend à son tour un fruit et le mange en entier. L'apprentissage par l'observation est souvent le meilleur. Zhou, ne parlant pas anglais, avait exprimé à son fils son inquiétude face à la langue. La rencontre lui aura certainement prouvé que les moyens de communication sont multiples. En fin de repas, je discerne qu'elle souhaite exprimer quelque chose. Ne trouvant pas son compte dans le petit lexique que nous possédons, je lui tends notre point-it. Par dépit elle nous montre une image, sous l'œil très sceptique de son ami. Elle pointe deux personnes en tenue de sport faisant du nordic walking. Un instant de réflexion et nous nous exclamons en mimant : "Ah, vous voulez aller faire une balade !" Zhou, l'air victorieuse, acquiesce et se tourne vers son ami avec un regard qui traduit "Tu vois, ça a marché !" Nous repartons le lendemain avec les sacoches enrichies de gâteaux, de kumquats et de bouteilles d'eau. Zhou insiste pour que nous embarquions l'intégralité de leur stock de bouteilles. Nous déclinons l'offre en expliquant que nous en avons déjà assez. Peine perdue, notre hôte ne démord pas. Par contre, lorsque je me mets en scène et mime le fait de pédaler avec difficulté et effort, Zhou éclate de rire, comprend et n'insiste plus.
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Avant de le quitter, Senlin nous a écrit sur un bout de papier une phrase en mandarin expliquant que nous sommes à la recherche d'un lieu où camper. Car ici, rares sont les personnes qui parlent anglais et voir notre requête déclinée par manque de compréhension est frustrant. Étant dans l'impossibilité de vérifier nous-mêmes l'exactitude de la traduction, le seul moyen de le faire est de la tester. Autant dire qu'après notre première tentative, nous l'avons surnommée "le mot magique". Durant plusieurs jours nous évoluons dans d'étroites vallées où les places de campement sont peu nombreuses. Une fin de journée, nous montrons notre papier à un homme dont la propriété nous semble appropriée. Sans une once d'hésitation, l'homme acquiesce et nous invite à venir planter notre tente dans son champ. Lui et sa femme nous apporteront de l'eau chaude pour nous laver, des bouteilles de Sprite et de bière. Forts de cette expérience, nous réitérons notre demande le soir suivant, alors que nous poussons nos vélos avec effort depuis bien des kilomètres. Nous dormons cette fois-ci dans une propriété nichant une source d'eau thermale brûlante, après avoir pris un bain dans l'une des maisonnettes prévue à cet effet; le spa local.
Dans une premier temps nous roulons dans le royaume du panda géant.
Dans un premier temps nous roulons dans le royaume du panda géant. Mais les seuls que nous voyons font du kung-fu sur les panneaux routiers ou ornent les entrées de tunnels. Ces derniers sont nombreux et l'un d'entre eux nous offre notre record de longueur, soit environ huit kilomètres. Tel un pont entre deux mondes, il nous ouvre les portes d'un nouvel univers. Architecture, monuments religieux, drapeaux de prières, vêtements, accessoires, faciès, écriture, langage... La culture tibétaine se distingue petit à petit pour prendre pleinement possession du décor alors que nous progressons à l'ouest. Les visages ont foncé, peaux burinées par le soleil d'altitude. Un filament rouge orne les tresses noires des femmes, des boucles d'oreilles massives encadrent leur regard franc. Les tissus des vêtements sont éblouissants. Si le bleu-roi domine dans un premier temps, il est ensuite remplacé par les tons ocre du tissu caractéristique des moines bouddhistes.Â
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Le décor est tel que nous nous étonnons à chaque fois que nous voyons un drapeau chinois, pourtant nombreux. Nous nous sentons au Népal, au Tibet, en Bolivie parfois. Et c'est à chaque fois avec un effort intellectuel que nous nous re-situons dans cet immense pays aux visages multiples.
Les petits villages sont nombreux mais les lieux de ravitaillement en nourriture fraîche sont peu fréquents. Un jour, vers midi, ne percevant rien à l'horizon, nous demandons à un homme au bord de la route "Momo?" L'homme part et revient avec deux pains, qu'il nous offre sans rien demander en retour. Nous poursuivons notre route en quête d'un lieu où s'arrêter pour les manger. De grands moulins à prières actionnés par une rivière attirent notre attention et nous nous arrêtons. Une femme sort d'une tente voisine et nous demande si nous voulons manger. Tiens, voilà un "restaurant" tout de même. Je lui demande si je peux voir ce qu'elle propose? Nous entrons alors dans la tente, où se tient une grande table, deux bancs, de la nourriture entassée et de la vaisselle. La femme ouvre un grand sac de jute rempli de pains ronds. Je lui demande combien ça coûte? Et comprend à son air surpris qu'en réalité nous sommes ses invités. Nous nous asseyons sur la banquette du fond. La femme puise dans une grande casserole une ration de pâtes aux algues, dresse sur une assiette une pile de pains et verse dans des bols un liquide blanchâtre et chaud, du thé au lait. Dans chacun des bols elle plonge du bout de ses baguettes chinoises un grand morceau de beurre de yak. Notre première expérience de ce fameux breuvage. Le beurre fond petit à petit alors que nous y trempons le pain, comme indiqué par notre hôte. Nous clôturons cet instant, qui fait partie des biens précieux du voyageur, par une séance de photos et d'éclats de rires.
Si nous n'avons toujours pas renoué avec notre habitude de cuisiner au réchaud, nous avons besoin d'essence pour laver les chaînes et plateaux de nos vélos. Nous demandons aux employés d'une station-service si nous pouvons remplir notre bouteille prévue à cet effet. On nous répond un non catégorique et inexpliqué. Olivier a beau sortir le réchaud pour expliquer notre besoin, rien à faire. Nous réitérons notre demande dans une seconde station. L'un des employés passe outre ce que l'on croit comprendre être une loi étatique interdisant le remplissage de bouteille ou jerricane, et satisfait notre besoin. Profitant de son amabilité, je lui demande s'il connaît un lieu bon marché où dormir à Xindu, la ville voisine. Il griffonne quelques signes sur un bout de papier que je mets précieusement dans ma poche. À la ville, je le montre à un homme assis devant son échoppe. Il m'indique un lieu en contre bas de la rue. En effet, nous y retrouvons les caractères écrits par l'employé de la station. Par contre, la notion de bon marché est toute relative. L'inscription du nom de l'établissement en lettres latines et le hall luxueux nous laissent présumer des tarifs. Je vais néanmoins me renseigner à la réception et comprends rapidement qu'ils n'acceptent pas les étrangers. Tant pis, ou tant mieux. Entre temps, Olivier s'est fait encerclé par les chauffeurs de taxis en manque de client et curieux de cet étranger à deux roues. L'un d'entre eux comprend notre situation et nous emmène juste de l'autre côté de la route, au fond d'une petite ruelle où nous n'aurions jamais eu l'idée d'aller investiguer. Un groupe de femmes aux âges hétérogènes nous accueillent avec un grand sourire dans leur pension. Un établissement authentique exactement tel que je l'avais souhaité. Ici, comme dans toute la ville d'ailleurs, nous comprenons, aux regards curieux et parfois intensément soutenus des indigènes, que les étrangers sont rares.Â
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