Avec l'arrivée de juillet disparaît le mois de haute pression. Sous la pluie et les rafales de vent nous célébrons l'anniversaire d'Olivier, le premier du septième mois, installés au milieu de vastes champs de galets près de Hölick. Un mois plus tard, la situation n'a de différence que celle du lieu, une petite île au sud de Härnösand. Bloqués, par la pluie mais avant tout par les vents. Patience. Car nos déplacements sont intimement contraints par ces deux réalités. La pluie, plus par confort, le vent, par réelle sécurité. Le tout est de parvenir à considérer les chiffres pixelisés de notre écran 2D sans négliger l'analyse des quatre dimensions qui nous supportent. Jusqu'à présent, nous ne pouvons nous targuer d'avoir toujours pris la bonne décision. Mais Olivier a su adapter les navigations, même lorsque soumis à une mer en colère, malmenés par des vagues ourlées d'écumes. Et puis, en ce début du huitième mois, nous avons le loisir de laisser humblement les dieux gronder, les cieux s'endiabler. Nous n'avons qu'à bouquiner ! Mais une question bourgeonne : et si cela devait perdurer ? Si je n'ai peine à imaginer d'autres occupations que celle de lire lorsque notre malle littéraire sera épuisée, il est un fait irréductible : l'hiver ne nous attendra pas pour assiéger Luleå de son froid et figer sa mer... Mais pour l'heure, ce murmure n'a pas raison d'élever sa voix. Quelque 500 kilomètres nous séparent de notre lieu d'hivernage et octobre est encore loin.
Le 12 mars 2022, dans le jardin de l'Av. Ruchonnet 11 à Vevey, à l'occasion de notre café de départ, Rudy Gollut, dont l'entreprise est l'un des partenaires principaux de Cap Kayak, nous disait ceci : « J'ai informé mon frère que vous alliez passer près de chez eux ; la côte de boeuf est prête et vous attend. » Une année et demie plus tard, Christophe et Heidi Gollut viennent nous chercher dans un petit port au nord de Hudiksvall et nous emmènent chez eux, à Jättendal, où, depuis décembre 2021, ils font revivre le B&B et camping d'Älvstalodges.
D'une côte de boeuf nous avons délicieusement dérivé vers une soirée, une semaine, une deuxième semaine... A la question «Combien de temps pensez-vous rester ? », la réponse s'est rapidement co-construite. Nous ne sommes pas pressés ; Älvstalodges vit sa haute saison. Deux coups de main sont les bienvenus, un interlude où l'on troque kayak, tente et flocons d'avoine contre, douche chaude, lit douillet, repas gastronomiques et discussions francophones également. Les journées sont d'une intensité surprenante, car à la fois elles requièrent de l'énergie et en donnent. Les heures défilent sans que l'on n'y prenne garde et le soir arrive si discrètement que rares sont les jours où l'on s'attable avant 19h30. Aux délices des papilles et à chaque repas se joignent les saveurs du partage, de l'humour, de l'amitié, de la curiosité réciproque des expériences de vie. Cuisine, intendance, construction, jardinage... prendre part aux activités d'Älvstalodges, être accueillis dans les réflexions de développement, c'est en quelque sorte participer, certes de manière infime et éphémère, à un projet qui un jour nous a nous aussi animés. Et puis Christophe, en manager improvisé et enthousiaste, nous introduit auprès des clients avec qui nous poursuivons la discussion et partageons notre projet, notre manière de vivre. Sur la terrasse autour d'une tasse de café ou sur le pas de porte des douches, dans l'atmosphère chaleureuse et conviviale des lieux, les échanges sont pleins.
C'est à Älvstalodges que nous retrouvons la famille Carel, Sybille, Dan, Scott et Line, venue de Vevey passer quelques jours avec nous. Les kayaks continueront à marquer de leur empreinte le gazon d'Älvstalodges alors que nous rejoindrons avec eux et par la route le parc national de la Haute Côte de Skuleskogen. Cinq jours de balades, de hauteur, de bivouac, de rire, de discussions. Et puis de gags, dont l'avidité de Scott et Line finit par assécher le répertoire d'Olivier. Revenus chez Heidi et Christophe, qui nous accueillent avec un repas de fête, les Carels poursuivent leur route le lendemain. Ce que nous faisons également, peu après. La réalité climatique de LuleÃ¥ raisonne le coeur, qui lui, serait resté bien plus longtemps...Â
Comme pour nous distraire de ma nostalgie qui déjà s'installe après les premiers coups de pagaie, les surprises nous attendent au contour. Le premier soir de notre reprise d'itinérance, alors que nous accostons sur une plage de sable, non sans difficulté en raison des vagues qui s'y échouent, un homme vient proposer son aide. Puis il nous dit en anglais « Si vous voulez vous joindre à nous plus tard pour un verre de vin... » Finalement nous passerons la soirée avec ces trois familles austro-germaniques vivant près de Zürich, en vacances ici. Alors que je les remercie pour le repas, ils en font de même pour l'animation de la soirée. Le surlendemain, nous posons notre campement dans une région habitée et nul n'aurait pu prétendre ignorer que la portion de terrain où nous montons la tente fût privée. En fin d'après-midi un homme s'approche. Plutôt que de nous prier de lever le camp, il vient s'enquérir de notre besoin de nous ravitailler en eau. Déclinant avec soulagement son offre, il revient cinq minutes plus tard avec deux canettes de bière fraîches « A vous voir assis là , au soleil, il m'a semblé qu'elles seraient les bienvenues. » Et comment... mais le plus délicieux dans ces 33cl de liquide, c'est bien la situation inattendue et édifiante.
Le matin suivant, après quelques kilomètres, je salue trois personnes qui semblent nous observer depuis leur balcon. En retour à mon geste, trois bras s'animent, puis une voix « Vous êtes les Suisses ? » Perplexité « Oui... mais... comment... » Trop curieux pour en rester là et ne parvenant à communiquer à distance, nous nous retrouvons tous sur le ponton de la propriété. Samuel voyage lui aussi en kayak, mais avec un objectif tout autre : parcourir l'ensemble de la côte suédoise, challenge officiel appelé le « Blue Ribbon ». Il y a quelques jours, il a croisé Rick et Christa, deux Hollandais effectuant le même défi, où la distance moyenne quotidienne flirte avec les 40 km. Et Rick, nous l'avions rencontré en mai 2022, sur l'île de Texel dans la mer des Wadden, après la journée de notre voyage la plus mouvementée en termes de navigation et d'humeurs... Alors que nous entamons la discussion, Christina et Johan, chez qui nous nous trouvons alors, nous proposent un café, qui se transforme en un vrai petit-déjeuner, servi à même le kayak. Si nous les quittons sous un soleil franc, l'orage nous secoue peu après, alors que nous effectuons une traversée de huit kilomètres. De l'autre côté, en sécurité et soulagés de l'être, le constat est aussi limpide que l'eau est assombrie par les tourments, nous n'aurions pas dû nous lancer dans cette course. Car la force de l'orage et l'amplitude des vagues qui rapidement s'est élevée, auraient pu être pire.
Depuis, nous patientons dans la tente, que les vents se calment, que les averses cessent. Comment est-ce Dieu possible que des nuages puissent contenir autant d'humidité ? /AG
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