Sous le voile du paradis, l'enfer. Emergeant de l'enfer, la beauté.Â
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Le 23 mai, nous effectuons une courte navigation avec pour objectif de nous installer dans une baie, à l'abri des vents tempétueux annoncés pour les jours suivants. Un étroit corridor nous amène dans le petit éden de Burstad, une crique entourée de montagnes abruptes. Nous essayons d'évaluer la direction des prochains vents et montons la tente en conséquence, non loin d'une maison en ruine. Au vu de la beauté du lieu, de la clarté de l'eau et du soleil qui nous fait grâce de sa présence, déjà élaborons-nous mille et un projets pour les prochains jours à terre. Mais nous étions bien loin d'imaginer celui qui nous attendait...
Prévoyant, Olivier installe autour de la tente les plus grosses pierres qu'il soit raisonnablement capable de transporter pour remplacer les sardines que le sol ne nous permet pas d'ancrer solidement. A peine couchés que le vent déjà forcit. N'ayant aucune réception, nous ne pouvons mettre à jour les prévisions météos qui annonçaient précédemment la tempête pour le lendemain seulement. Impossible de s'endormir, la toile gémissant bruyamment sous les assauts d'un vent latéral. Olivier brave et les vents et la pluie à plusieurs reprises pour retendre les cordes de la tente et constate avec effroi que les rocs ont beau peser entre 25 et 30 kg, le vent se joue d'eux comme d'un hochet. Olivier essaie tant qu'il peut d'augmenter la stabilité de ce château branlant. Mais à force de prêter main forte à la structure de notre tente, de la soutenir tant bien que mal de l'intérieur et réalisant que les tubulures commencent à s'arquer plus que de raison, il nous faut agir. Nous essayons de pivoter la tente pour l'orienter face au vent. Mal nous en a pris, la manÅ“uvre se révèle être un échec total. Par instants, les gifles du vent sont si violentes que la tente en perd sa troisième dimension, s'aplatissant comme une crêpe. Nous capitulons. En quatrième vitesse je plie les affaires à l'intérieur, mais ce n'est pas assez rapide. L'un des arceaux rompt et déchire sa gaine de tissu, les deux autres gardent la marque du vent imprimée à jamais dans leur structure. Nous décampons et rapatrions nos affaires dans la ruine. Juste avant ça, Olivier regarde en direction de nos kayaks. Je regarde Olivier. Au vu de sa réaction, je m'imagine le pire. Plus de kayak. Je me rue là où on les avait entreposés. Le mien n'a pas bougé d'une once. Celui d'Olivier, par contre, a fait un vol plané dont nous préférons censurer les images que notre esprit s'empresse de produire. Comment a-t-il pu se retrouver là , dans cette position ? Un rapide coup d'oeil évalue à zéro les dégâts. On le transporte alors jusqu'à la « cave » de la maison, où il s'enfile de justesse aux ¾, et lestons le mien de grosses pierres, par sécurité. Est venu le temps d'un café et d'un point de situation. Etablir les priorités. De un, aménager un lieu où se tenir. De deux, réaliser le bilan des dégâts. Se mettre à l'oeuvre, faire le ménage et nous arranger un coin nous permet de penser à autre chose qu'à la tente. L’éventrement de la maison nous offre une vue plongeante sur la baie, où nous observons, interdits, des tornades d'eau se former. Plutôt qu'abris, les montagnes semblent être un toboggan pour ces vents qui ne cessent de changer de direction et transformer le plan d'eau en un carrousel endiablé. Les assauts du vent sont par moment si puissants qu'à peine atteignent-ils les abords de l'eau qu'ils la creusent et génèrent des vagues. La rencontre de ces dernières avec des vents opposés fait jaillir des gerbes d'eau en l'air. Il se vit un tel conflit sur ce plan d'eau que celui-ci ressemble à un champ de bataille où les deux éléments que sont l'eau et l'air s'affrontent sans merci.Â
Olivier trouve parmi les débris de la construction de quoi aveugler quelques fenêtres pour diminuer l’engouffrement du vent. Nous établissons notre QG dans ce qui devait être un jour des toilettes, ou peut-être était-ce un réduit ? Une pièce aux dimensions précises de nos deux matelas. Quelques clous supplémentaires et voilà une penderie. Nous essayons de nous reposer mais mon corps se crispe à chaque rafale, malgré mes tentatives pour le rassurer sur notre situation et celle de nos affaires. Finalement, au soir, nous parvenons à nous endormir. C'était sans compter avec la pluie... A 3h00, l'unique point faible de notre réduit, une ouverture dans le plafond, nous trahit et il commence à grêler sur mon matelas tout comme sur mon visage. Nous nous replions dans un second tout petit local qu'Olivier avait aménagé pour y stocker nos affaires. Droits et rangés comme nos sacoches, nous nous tenons dans l'obscurité de cette pièce borgne qui a pour avantage de n'avoir aucune ouverture ni sur l'extérieur, ni au plafond. Par contre, il nous faut veiller à ne pas poser le pied n'importe où, au risque de se voir recalé à l'étage inférieur, c'est à dire à la cave où est entreposé le kayak. Le temps d'un chocolat chaud et Olivier a déjà rehaussé le standing de notre nouvel abri de fortune en lui offrant un banc. Ainsi, dans le noir et dans nos sacs de couchage, l'un assis l'autre couché, nous patientons, attendant que le temps passe. Dans la matinée, nous partons en quête de la 4G. Avec persévérance, confiance puis soulagement, nous la captons après avoir crapahuté dans les hauteurs, bravé des névés et enjambé quelques rivières. La mise à jour des prévisions confirme ce que nous savions déjà , à savoir une fenêtre navigable pour le surlendemain. Rentrés chez nous, Olivier s'attaque alors à l'aménagement d'une troisième pièce. Et là encore, notre niveau de confort augmente. Des clous rouillés récupérés sur de vieilles pièces en bois, un cylindre métallique en guise de marteau, des planches en sapin, une structure de table, pas mal d'ingéniosité et nous avons droit à une pièce abritée des vents, étanche, d'un banc et d'une table. Olivier appose la touche finale en installant dans la dernière ouverture une porte et un système de blocage. La nuit suivante, nous dormons 13 heures d'affilée... Et le jour suivant, nous le passons à réparer la tente au maximum de nos possibilités, à faire l'inventaire de nos provisions, à retourner à notre repère dans les montagnes pour une dernière mise à jour des prévisions. Ce jour-là , la grande baie vitrée sans vitre de notre maison nous offre le spectacle d'un troupeau de rennes au sein duquel gambadent maladroitement des nouveau-nés qui ne doivent pas avoir encore vécu une semaine entière. Non conscients de la présence de deux bipèdes tapis dans l'obscurité de cette ruine, ils s'en approchent au plus près, broutent ou essaient de téter, puis s'en retournent dans les montagnes.
Le 27 mai, à 4h30, nous plions bagage et quittons cette maison avec un pincement au cœur. Olivier résumera en quelques mots cette émotion que je partage « C'est fou comme planter quelques clous peut transformer une ruine en un véritable chez nous. » / AG
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