Quand la Nature nous met à genou, l'Homme nous tend la main. Lorsque fatigués de l'Homme, la Nature nous ressource. Un équilibre en redéfinition constante qu'il n'est pas toujours facile d'identifier ni maintenir. Lorsqu'il se révèle, c'est l'intensité du moment, la beauté de ce qui se présente qui le traduit.Â
Lorsque nous quittons la baie de Burstad, après quatre jours d'assiègement par les vents, nous savons que nous devons désormais composer avec l'handicap d'une tente fragilisée. Thomas et Annette de Skibotn ont passé du temps à prospecter pour nous les possibilités d'obtenir de nouvelles tubulures, sans succès. Au soir de notre reprise de navigation, nous redoublons de vigilance sur l'emplacement de bivouac. Il nous faut trouver un lieu protégé des vents, quand bien même ma confiance en ma capacité à évaluer cette donne a été fortement ébranlée par notre expérience des jours passés. Nous pagayons quelques kilomètres hors itinéraire pour atteindre le fin fond d'un fjord, là où une route et surtout une bâtisse nous offre une solution de repli. Au cas où. Après une prospection plus rapprochée, nous découvrons un ensemble de maisons rouges, un petit port, et réalisons qu'il s'agit là en réalité d'un site dédié au tourisme de pêche. Nous décidons toutefois de demander la permission d'installer notre tente à proximité de l'un des bâtiments. Qui sait ? Ainsi faisons-nous la connaissance de Claudine puis de son mari Jan-Eric, un couple franco-suédois qui gère depuis plus de quinze ans le site de Myrfjord, et ce pour la dernière année. De fil en aiguille, nous nous retrouvons installés gracieusement dans une petite chambre au-dessus du local de dépeçage des poissons, avec à disposition, entre autres, douche, lave-linge, salon puis encore cuisine. « J'aime bien aider les voyageurs, nous avons pas mal voyagé nous aussi. » nous dira Claudine. En plus de tout ce confort, le couple nous offre la valeur inestimable de leurs vastes connaissances et expérience de vie dans cette région où la pêche tient la vedette. Claudine et Jan-Eric nous retrouveront plus tard à Havøysund pour nous emmener visiter ce village coloré centré sur l'industrie halieutique et port de transbordement pour le Hurtigruten. Bateau que nous croiserons le lendemain de notre passage et que nous entendrons converser avec son homologue dans la langue de la corne de brume.Â
Lors de notre passage à Myrfjord, nous assistons un groupe de Suédois lors de la préparation du fruit de leur pêche matinale. Principalement du cabillaud, mais aussi du lieu noir et loup atlantique. Les filets sont habilement tirés, tout le reste retourne à la mer, pour le plus grand plaisir des mouettes qui attendent impatiemment leur pitance de luxe. Pour nous qui mettons un point d'honneur à ne rien jeter, nous nous interrogeons sur cette pratique. Nos conversations avec Claudine et Jan-Eric nous permettront d'en saisir la probable origine. La quantité de poisson par personne est limitée pour franchir la frontière internationale ; alors au vu du nombre de spécimens pêchés, seul le meilleur est conservé. Les Suédois nous offrent quatre magnifiques filets, ainsi qu'à titre expérimental de la langue, une joue et du foie de morue. Ce dernier, selon les conseils de l'un des pêcheurs, doit être congelé au minimum 24 heures puis bouilli 20 minutes pour tuer les éventuels parasites. Selon cet homme costaud de plus de 2 mètres, le foie est relativement nourrissant voire écoeurant, et gras, évidemment. Notre expérience le confirmera.Â
A chaque soir sa baie, à chaque soir son point de vue spectaculaire que les pans de montagne abrupts nous permettent d'atteindre en quelques enjambées. Finalement nous atteignons l'ultime île de notre périple, celle qui se nomme l'île aride ou maigre, Magerøya. Au Nord, le cap Nord, le touristique. Et encore plus au Nord, « notre » cap, Knivskjellodden, le point le plus septentrional d'Europe. Ces lieux ont définitivement placé dans l'ombre le reste de l'île qui pourtant mérite que l'on s'y attarde. A cette saison où la fonte des neiges et des glaces est à son paroxysme, l'eau se décline partout autour de nous en ruisseaux, cascades, lacs, gouilles... A en perdre la tête tant la scène est spectaculaire. Alors que nous nous baignons dans l'un de ces lacs glacials, un lièvre blanc bondit de roche en roche, des aigles marins planent nonchalamment au-dessus de nos têtes alors que des mouettes les provoquent, un renard trottine innocemment pour aller se servir sans gêne dans nos sacoches, une loutre fait sa toilette avec application... Les bourgeons de feuilles enfin s'ouvrent et se déploient à vue d'oeil. Mais comment allons-nous pouvoir quitter ces lieux ?Â
Quel que sera notre état d'esprit au moment de laisser derrière nous cette faune et ce décor, cela n'est pas pour tout de suite. Car notre dernier rendez-vous avec l'équipe de Passe-moi les Jumelles, dans le village de pêcheurs de Gjesvær, définit notre agenda. Si ce temps d'attente se mêle de la frustration de ne pouvoir profiter des fenêtres météo qui s'ouvrent puis se referment sous nos yeux, nous savons que c'est aussi l'opportunité de s'imprégner d'un lieu plus intensément, de le découvrir différemment. Ainsi ferons-nous la connaissance de Steinar, puis de Natalia...  / AG
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