Texte extrait de notre e-magasine Le Vagabond N°1
Le chemin qui mène à l'eau
Lors de notre dernier périple, après avoir pédalé sur quelques 45’000 kilomètres, nous nous sommes rendus à l’évidence que le voyage à vélo était devenu pour ainsi dire une routine. L’envie de renouer avec ce mélange d’appréhension et d’excitation caractéristique de l’inconnu, le besoin de retrouver l’émerveillement face à la nouveauté, nous ont portés à reconsidérer notre manière de voyager. Les curieux que nous sommes avaient soif de nouvelles expériences.
De retour en Suisse depuis décembre 2019 après différents voyages et expériences, malgré un contexte où élaborer des projets devenait compliqué en raison de la situation sanitaire mondiale, il nous a été difficile de confiner notre imagination, de bâillonner cette énergie qui une nouvelle fois nous poussait vers l’horizon.
L’idée de voyager en kayak de mer s’était depuis longtemps invitée à la table des folles idées dressées dans l’imaginaire d’Olivier. Prenant place parmi les nombreux projets phantasmés, alors que le projet de reprendre la route se concrétisait, le voyage en kayak s’est distingué car il pouvait alors s’accorder avec nos besoins de découverte, d’itinérance et d’une vie faite de simplicité.
L’itinéraire, comme à son accoutumée, s’est profilé au fil des rêveries et des discussions. Si le Nord s’est rapidement imposé à nous de par ses paysages, sa nature, ses peuples et sa faune, le point de départ a pris plus de temps à se définir. Et puis, une fois encore, partir de la maison, de celle qui a vu naître Olivier, qui nous a vus partir et revenir plus d’une fois, nous a semblé être un point d’ancrage solide pour reprendre le large. Nous aurions pu partir sans destination. Et dans l’absolu, il se peut bien que ce soit le cas. Si le Nord sera notre cap durant plus d’une année, nous savons que la mer est vaste et l’arbre des possibles infini.
Mais avant ça, il nous a fallu tout reprendre à zéro.
Nouvel environnement, nouvelles réalités météorologiques et climatiques, nouvel équipement, nouveaux apprentissages... Le vent n’a pas le même visage en mer que sur terre, les cartes topographiques deviennent marines, aux courbes de niveau usuelles s’ajoutent les indications des courants et le calendrier des marées, de nouvelles couleurs et symboles apparaissent sur les panneaux de signalisation. Certes nous apprivoiserons ce nouvel univers au fil du temps, mais il est un minimum qui ne peut être ignoré lors du choix de notre équipement et de la préparation d’un tel périple. Nous imaginions que choisir son kayak allait être aisé; nous découvrons qu’en réalité il en existe une diversité désarçonnante et qu’il nous faut des connaissances supplémentaires pour pouvoir effectuer notre choix. Et puis, au-delà de notre moyen de transport, il nous faut repenser notre habillement, le matériel logistique, notre production d’électricité, notre couchage... Avant d’avoir le mal de mer à force de brasser des informations digitales, nous nous orientons vers des personnes d’expérience. Kayakistes, navigateurs, ingénieurs ou passionnés, leurs partages esquissent les contours de notre futur et nous permettent d’affiner nos choix.
Et puis, la préparation, c’est aussi la période qui donne corps à un projet fait d’idées et d’envies. C’est le rendre palpable alors qu’il paraît encore si loin, lui offrir une place dans un quotidien si différent, jusqu’à ce qu’il nous submerge et nous emmène au large, un jour de mars 2022.
Nos compagnons de mer
A chacun son kayak. Nous avons su apprécier les avantages d’avoir son propre vélo durant nos voyages précédents. Naviguer avec deux bateaux était alors une évidence. L’idée d’opter pour un biplace pour Olivier s’est quant à elle profilée au cours des réflexions. Une option imaginée dans un premier temps comme intéressante et qui se révèle être indispensable au regard du volume de notre équipement. L’hiloire du second passager pourra ainsi accueillir le matériel qui n’aurait su trouver sa place dans les caissons.
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Le crapaud fou
« Le crapaud fou », un drôle de nom à la Lewis Carroll. Oui, mais pas du tout ! Pourquoi nommer un bateau ? Raison d’identification ou d’identité ? Le code de la marine exige un nom, une plaque d’immatriculation nécessaire pour, entre autres, le sauvetage en mer. Alors pourquoi tant de poésie, voire d’arrogance sur la coque des rafiots ? Un capitaine inspirant ou mégalo, une entreprise ou une nation souhaitant se démarquer ? L’histoire de la marine regorge d’exemples de noms révélateurs, même si parfois le sort en décida autrement ; 15 avril 1912 le Titan des mers se révèle être un colosse aux pieds d’argile (Titanic). « Le crapaud fou » c’est donc un peu moi. Celui qui change de cap quand il a le vent en poupe. Celui qui s’autorise de risquer l’improbable, à une époque où la recherche de confort, de sécurité et de stabilité prime. « Le crapaud fou » est avant tout le nom donné à une théorie scientifique basée sur l’observation de batraciens : Lorsque les crapauds migrent à la saison des amours, pour rejoindre leur étang d’origine, il y a toujours quelques individus qui partent dans la direction opposée. Des fous, oui, car la probabilité d’y laisser leur peau est grande. Mais c’est surtout la possibilité, pour l’espèce, de coloniser d’autres biotopes, ainsi que de la perpétuer même si la masse devait périr.
Eir Aurora
Déesse ou valkyrie de la mythologie nordique, Eir est l’une de celles qui façonnent la vie des enfants en ajoutant sa bienveillance dans le dessin de leur avenir. En norrois (vieux scandinave), Eir signifie protection, aide, miséricorde. Douée de compétences médicales, intime au secret des plantes, elle est associée à la protection et à la guérison, à la fois physique et psychique.
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A ses côtés, l’aurore, cette lueur brillante et rosée du matin qui réveille l’espoir que tout est possible et offre à chaque jour une page nouvelle à écrire. J’aime à penser qu’ainsi incarné par l’énergie de ce baptême, Eir Aurora saura m’accompagner à bon port.
Un voyage aux multiples visages
Certes le voyage au long cours ne se gagne pas à la loterie et n’est pas la résultante de ce concept que l’on appelle « chance ». Par contre, être en santé afin de pouvoir le réaliser ne tient pas qu’à une volonté propre. Cette fortune, nous l’avons. Du terreau que représente cette aventure, nous avions à cœur de faire émerger une dimension supplémentaire à celle de nos récits, de nos photographies, de nos souvenirs. Si nous y pensions depuis un certain temps déjà , l’idée de collaborer avec une association s’est inscrite avec naturel dans le script de ce voyage, incarnant auprès d’Olivier et de moi-même une signification complémentaire.
Pour Olivier, l’équation était simple. Il aime voyager. Il a la santé et la force physique de le faire. Il a à cœur de servir les causes qui sont en accord avec ses valeurs. Soutenir une association à travers le voyage n’était donc plus une question mais une évidence.
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Pour ma part, s’il existe un nombre infini de causes nobles, il me fallait opter pour une qui me fasse vibrer. Qui me donne la force de donner les derniers coups de pagaie pour rejoindre la berge après une journée éprouvante. Qui m’aide à répondre à la question qui inévitablement s’invite un jour ou l’autre au menu du voyage : mais qu’est-ce que je fais ici ? L’action de Zoé4life répond à ces attentes. Est-ce parce que j’ai moi-même connu intimement le cancer ? Parce qu’un enfant malade dissone tant avec l’idée que je me fais de la justice ? Parce que la souffrance d’une famille déchire le voile qui sépare l’acceptable du révoltant ? Ou parce que le sourire et la joie d’un enfant ne devraient pas avoir de prix ? C’est un peu de tout cela, probablement; et bien plus encore, assurément.
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