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Au cœur du bouddhisme tibétain

16-04-2018 15:49

Aline Guignard

Terres sauvages,

Au cœur du bouddhisme tibétain

Monastère de Sershul. Lieu de spiritualité et d'enseignement philosophique. Lieu de vie de centaines de moines. Lieu d'appel de milliers de bouddhistes...

Monastère de Sershul. Lieu de spiritualité et d'enseignement philosophique. Lieu de vie de centaines de moines. Lieu d'appel de milliers de bouddhistes. Dans le sens des aiguilles d'une montre, les fidèles marchent religieusement autour de ce grand domaine, comme ils le font autour des lieux saints. En ce jour particulier selon le calendrier tibétain, l'affluence est telle que les marcheurs forment un ruban ondulant autour des bâtiments, des stupas, des drapeaux de prière. La marche est longue, le chemin est de terre et le dénivelé significatif à cette altitude où le souffle nous manque parfois. Les enfants accompagnent leurs parents en ce jour dominical. Et loin de tout calendrier, nombreuses sont les personnes âgées pour qui cette marche méditative demeure au cœur de leur routine quotidienne. Si elles le peuvent, avant le coucher du soleil, elles complèteront à trois reprises la boucle. Si elles le peuvent... Une vieille dame, dont le visage restera caché dans l'ombre de son dos voûté, avance à petits pas, en s'appuyant sur deux bâtons de fortune. Un pas. Puis un autre. Puis un autre. Entre chaque mouvement semble s'écouler l'éternité. Pourtant elle avance. Sans doute n'achèvera-a-t-elle qu'un seul tour avant le crépuscule. Peu importe. Seule une foi inconditionnelle, une croyance aussi solide que son corps paraît fragile semble permettre une telle persévérance. Aucune plainte, aucune tension ne se dessine sur les visages de ces aînés. Mais des sourires, oui.

La procession est un plaisir pour qui admire la beauté des Tibétains.

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La procession est un plaisir pour qui admire la beauté des Tibétains. Une sensibilité assurément éveillée par la différence. Décrire l'apparat des femmes qui défilent devant moi n'est pas aisé, car mon regard, seul interprète de ces tableaux, ne parvient à en déterminer la trame. Une grande pièce de tissu habille la femme de l'épaule gauche aux chevilles. Si l'on devine un corps souvent svelte, le tissu au contraire se moque de la rectitude et se bombe, se drape, se replie, se noue et se superpose. Des arabesques aux courbes probablement dictées par une tradition, mais qui demeure pour moi un mystère. Le langage que mon regard comprend est la magnificence des tissus aux motifs brodés de fils lumineux. De ce vêtement s'échappe le bras droit, qui par cette saison dévoile un haut plus classique. Mais plus haut, tout en haut, le couvre-chef déconcerte celui qui croit en l'unicité de la tradition. Chapeau-melon en feutrine, chapeau de cuir à la cow-boy, disque plat de feutre épais et coloré... Mais le plus séduisant est le bonnet dont la fourrure intérieure encadre le visage et dont le soyeux du tissu éblouit l'admirateur. De ces chapeaux glissent deux longues tresses noires qui se rejoignent dans le dos. Les gants manquent à l'apparat mains. Dans les mains repose un chapelet qui s'égrène au fil des pas. En ce jour où la température flirte avec les -10 degrés, je ne peux qu'envier cette résistance, moi dont les mains gantées perdent leur fonction. Aux côtés de cette femme dont le tissu vert me subjugue court une petite fille; jeans serrés, sweatshirt coloré, gilet technique, casquette et Nike aux pieds...

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Alors que nous achevons notre marche, un brouhaha émane de la cour intérieure du monastère. Une manifestation ? Une célébration? Nous guignons par la porte principale. Devant nous, une vaste masse rougeoyante s'anime et vibre dans un tumulte. Des centaines de moines sont rassemblés en petits groupes et assiègent la place. Certains, assis en tailleur sur de fins coussins, semblent indifférents à la tension qui anime ceux qui se tiennent debout. Ce que nous pensions être des bruits de pétards est en réalité le claquement des mains de ces-derniers. Ce que nous prenions pour une danse n'est autre que la fougue qui les transcende. Loin du calme et de la modération que nous associons naïvement au bouddhisme, ce sont des hommes virils qui s'échauffent, avec parfois la hargne du contrarié. Car il s'agit là d'un exercice d'érudition. L'un des moines assis représente celui qui a la connaissance. Les moines debout doivent, le plus rapidement et en un claquement de mains, trouver la réponse à la question de l'érudit. Manifestement, il ne semble pas y avoir une seule vérité qui contente l'unanimité, et rien ne semble exister pour les interrogés que leur conviction. En spectateurs intrigués, nous sommes nous aussi sujet d'intérêt. Et entre les claquements de mains, des regards furtifs s'échappent des drapés flamboyants. 

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