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De Rotnvika à Årøya – Essayé pas pu – 15.05.2024

29-05-2024 12:47

Aline Guignard

Cap Kayak,

De Rotnvika à Årøya – Essayé pas pu – 15.05.2024

Nous n'avons parcouru que 7 km ce jour-là. Et pourtant, cette distance nous a permis de rejoindre le 7ème ciel. Dans le contre jour d'un soleil éblouissant...

Essayé pas pu ! Le constat de ce jour, la résultante d'un changement brusque de météo. 

 

Essayé pas pu, une réalité adaptative qu'il est de bon ton d'accepter. 

 

En ce matin du 15 mai, nous déjeunons sous une tente illuminée des rayons d'un soleil-surprise. Nous contrôlons les prévisions météorologiques sur nos deux sites-références qui s'accordent à dire que les vents modérés de la matinée nous ouvrent une belle fenêtre de navigation. Nous plions donc le campement. Mais en un éclair le vent se lève et l'atmosphère vire tendance orageuse. Le plan d'eau jusqu'alors calme se voit envahi de moutons blancs en une rapidité fulgurante. A la même vitesse nous prenons la décision du repli. Re-montage du campement et mise à l'abri d'une pluie qui s'impose sans invitation. Impassibles, nos deux sites météo n'ont pas bougé d'un iota malgré ce revirement de situation. Si nous sommes bien heureux de nous trouver à terre et à l'abri de ces intempéries, nous ne pouvons que frémir face à ce changement si brusque et non planifié. Serait-il survenu une heure plus tard que nous aurions été sur l'eau et les conséquences auraient été toutes autres. 

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C'est en conscience de cette réalité que nous réalisons nos choix de navigation. Mais parfois nous ne pouvons nous empêcher de nous demander s'il n'y a pas un manque de témérité ou une certaine frilosité qui influencent nos décisions... Et puis somme toute, nous avons certes le temps, mais aussi l'envie d'atteindre notre Cap ! Alors l'essayé-pas-pu est parfois la bonne option, pour autant que des points de replis aient été définis à l'avance. 

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Ce fut le cas au matin du 7 mai, naviguant aux aurores pour combiner vents et marées. Après une heure de navigation, nous attaquons une traversée de 5 km. Mais au bout d'un demi, Olivier s'interroge face à la vue des vagues qui se forment, au vent contraire et à notre progression lambinante. Repli. Nous rejoignons alors la côte et accostons dans une nouvelle baie qui se révèlera être paradisiaque. Nous n'avons parcouru que 7 km ce jour-là. Et pourtant, cette distance nous a permis de rejoindre le 7ème ciel. Dans le contre jour d'un soleil éblouissant, Olivier distingue des ailerons. « Aline, regarde, ils sont énormes !!! » L'excitation dans sa voix est palpable et me gagne instantanément. « Où ça ? Où ça ? Ils sont où ? » Et les voilà qui surgissent à nouveau hors de l'eau et tracent clairement leur itinéraire dans notre direction. La suite, je n'en suis plus certaine car les images ont été brouillées par les émotions. A tel point qu'une fois la rencontre terminée, j'en redemande, encore et encore, pour pouvoir plus en profiter, peut-être mieux en profiter... Dans ma coquille de noix, encerclée de toutes parts par ces grands cétacés, autour mais aussi au-dessous de nous, le sentiment de vulnérabilité est saisissant. Nous n'en voyons qu'une partie et nous savons pertinemment que la plus importante se situe sous l'eau, cet écran obscur dont l'imaginaire crée tous les possibles. En même temps, c'est simplement fabuleux ! C'est un spectacle sonore, visuel, émotionnel. Le bruit de leur respiration est saisissant; ils sont si près ! Leur ronde autour de nous ne laisse aucun doute : ils sont venus nous rencontrer. Puis ils s'en retournent à leur pêche. Est-ce fini ? Déjà ? Mais au fait, qui étaient-ils ? Du noir, du blanc, un grand aileron et une taille respectable... Une fois à terre et le tumulte émotionnel retombé, nous investiguons, et c'est Thomas de Skibotn qui trouve l'identité probable de nos compagnons de route, le dauphin à nez blanc. 

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Essayé et pu au-delà du prévu, c'est possible aussi. Repartis de notre baie spectaculaire pour la fameuse traversée avortée précédemment, nous en réalisons une deuxième dans la foulée, de même longueur, et dépassons ainsi l'île de Spildra sans nous y arrêter. Si la première se réalise pour ainsi dire agréablement, ce qui signifie pour moi sans réel stress, la deuxième est de celle qui me fait bouder le kayak. Une fois encore, ce que nous observons de notre environnement ne correspond pas à ce qui est prévu par les sites météorologiques. Néanmoins, le trajet nous semble réalisable. Et certes il le fut, mais au prix d'un effort soutenu où la pénibilité physique s'alourdit de l'incertitude quant à l'évolution de la situation. Nous arrivons fourbus, le dos douloureux, dans une petite baie quelque peu préservée du tumulte des vagues. Le jour suivant, pluie et vent nous invitent à la récupération. 

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C'est cette même réalité, celle d'une météo capricieuse et parfois imprévisible, qui oriente notre choix d'effectuer un portage de 8 km plutôt que de nous aventurer en haute mer autour d'une grande péninsule. Ainsi, à Alteidet, nous sortons de l'eau kayaks et matériel pour le porter à terre, sous le regard mi-amusé mi-intrigué d'Einart. Il me dira ensuite «Quand je t'ai vue arriver, c'était comme voir une sirène surgissant de la mer. » Une sirène affublée d'une combinaison étanche encombrante, d'une jupe qui n'a de sexy que le nom, d'un gilet tacheté de sel et d'une chevelure accusant le manque de douche... Une apparition somme toute bien éloignée des mythologiques. Nous débarquons donc sur le terrain de cet homme, occupé alors à entretenir la coque de son bateau. Apprenant notre projet de rejoindre Langfjordsbotn à pied, il nous propose de nous y emmener en tracteur. Le remerciant vivement, nous déclinons sa proposition. Nous allons plutôt utiliser l'un des chariots de fortune réalisés par Olivier à Luleå, destinés initialement aux pulkas. En prévision de cet éventuel itinéraire routier, nous en avions conservé un exemplaire. Sans aucune certitude que cela fonctionne. Essayé pas pu. Là, il ne nous faut que quelques mètres pour établir le constat. Les sacoches étanches fixées au support en bois et sur lesquelles repose le kayak, sont trop proches de l'asphalte et lèchent âprement le bitume. Einart aide Olivier à solutionner le problème et le chariot se voit amélioré de 2 lambourdes supplémentaires. Deuxième essai : ça fonctionne ! Mais cela va-t-il tenir jusqu'au bout ? Il n'y a qu'une façon de le savoir... Olivier tire son biplace chargé d'une partie des affaires sur le chariot pendant que je marche en portant une autre partie. Si tout se passe bien, nous n'aurons à effectuer que 3 fois les distances. Aller-retour-aller. Pour ce premier jour de portage, nous parcourons 12 km effectifs pour une avancée sur la carte de 4 km. Nous avons fait la moitié. Le lendemain, nous entamons la deuxième partie du trajet, mais l'entrée dans la commune d'Alta amène une donne supplémentaire : un entretien bien plus précaire des routes ! Les nids de poule sont de réels pièges pour notre fragile chariot. La veille, il nous a fallu nous rendre à l'évidence : le bois subit le poids du chargement et deux des tiges métalliques fixant les roues au cadre menacent de céder. La tâche est rude et douloureuse pour Olivier. Finalement, un bon kilomètre avant d'atteindre la destination avec le deuxième kayak, le chariot nous lâche. Une roue en moins. C'est précisément à ce moment que nous rencontrons Nathan, un Français en échange Erasmus à Tromsø, qui fait la course avec des potes pour atteindre le Cap Nord en auto-stop. Diversion sympathique à ce moment critique, il nous faut néanmoins retourner à notre réalité et terminer notre entreprise. Olivier traîne plus qu'il ne tire le kayak sur son support boiteux ; le bois est poncé à une vitesse folle, à tel point qu'il s'en dégage cette odeur caractéristique des scieries. Nous finissons par décharger au maximum le kayak et faisons plusieurs aller-retour pour acheminer l'entier du matériel sur les rives du Langfjord. Les deux jours suivants. Une mer calmissime nous offre des navigations agréables et se transforme en un miroir fascinant aux reflets parfaits, nous donnant l'impression d'évoluer dans un kaléidoscope géant.

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Essayé et pu de peu, la traversée jusqu'à Årøya. Une histoire de prévisions erronées dans ce carrefour à l'intersection de 5 bras de mer ou fjords, réputée pour être imprévisible et chaotique. Aux abords de l'île, une nuée d'eiders roucoule, un nuage de mouettes s'excite au passage d'un aigle marin. Deux bipèdes débarquent, créent un instant d'agitation, avant que chacun ne reprenne sa place et poursuive son occupation. 

 

Demain, nous essaierons à nouveau et qui sait si nous pourrons ou non ? Ce qui est certain, c'est que quelle que soit la résultante, elle sera colorée des teintes majestueuses et authentiques de cette Norvège du Nord. / AG

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