D'archipel en archipel, Stockholm est à présent derrière nous. Un point clé symbolique qui longtemps représentait notre cap du nord et qui maintenant se retrouve de l'autre côté de la boussole. Tout finit par arriver et le passé récupère ce qui nous a paru si lointain dans l'avenir. Et un jour, nous serons au Cap Nord... Mais qui sait de quoi sera composé notre itinéraire ? Car les imprévus font partie de la magie du voyage au long cours. A Oxelösund, alors que nous espérions trouver un lieu de bivouac légèrement en périphérie de la ville, nous nous adressons aux propriétaires d'un terrain capable d'accueillir sans difficulté notre tente. Mais ces derniers nous conseillent d'aller prospecter plus loin. Et plus loin, c'est la ville. Autant dire qu'y camper semble tout à fait improbable. Nous devons néanmoins nous y arrêter pour nous réapprovisionner, avec la perspective d'ensuite repagayer pour dénicher une île non habitée. Nous débarquons sur une petite plage de sable à proximité des magasins et remarquons que nous sommes arrivés juste devant le club de kayak de la ville. Un groupe de personnes est réuni à l'extérieur, la fumée qui se dégage en son sein laisse présager d'un barbecue. A peine le pied à terre, tout s'enchaîne. Nous entamons la conversation avec une femme assise sur la plage, un homme vient à notre rencontre, et nous voilà un hamburger dans la main. Une fois par année, les membres se réunissent pour mettre en état le matériel en vue de la saison de kayak et terminent leurs besognes par des grillades. Et il a fallu que nous arrivions ce jour-là précisément, à l'heure pile où la viande est à point. Thomas, le président du club, nous donne même sa clé des locaux ainsi que l'autorisation d'y installer nos matelas pour la nuit. Les membres s'en vont en début d'après-midi et nous restons les bienheureux bénéficiaires des lieux. Le jour précédent, soit vendredi, j'eus une pensée nostalgique pour nos traditionnels saunas dans le port de Klintehamn. Bien loin de moi d'imaginer que le jour suivant, nous aurions à disposition un sauna, une douche et un lieu au chaud et au sec pour dormir... Stefan, l'un des membres, nous met en contact avec ses confrères des clubs de Stockholm où nous cherchons un lieu pour parquer nos bateaux. Nous avons dorénavant même un contact au sein du club de Luleå, via Thomas. Le réseau se déploie...
Nous choisissons de prendre le canal de Södertälje pour rejoindre Stockholm par l'Ouest et ainsi traverser la capitale de part en part. Après une interminable ligne droite où le pont ferroviaire de Södertälje nous nargue des kilomètres à l'avance et semble ne jamais vouloir se laisser approcher, nous finissons par le franchir et atteindre l'écluse qui sépare la Baltique du lac Mälar. Précisément lorsque nous arrivons à l'écluse, celle-ci s'ouvre et un bateau à moteur y entre. Nous en profitons pour faire de même. La plaisancière nous dit en anglais « Bon timing ! Nous, cela fait deux heures que l'on attend l'ouverture de l'écluse. » Nous posons notre tente au bord de l'eau désormais non salée, avec une vue imprenable sur les impressionnants bâtiments d'Astra-Zeneca. L'objectif de cet arrêt urbain est le réapprovisionnement, l'évacuation de nos poubelles et le plein en eau. Suite à la suggestion d'une dame entre deux âges, passant à côté de notre tente et qui nous dit « Moi aussi je fais du kayak, mais pas en hiver ! », nous optons le jour suivant pour un petit détour par l'île de Björkön, où se trouvait Birka, l'une des toutes premières villes de Suède et siège commercial important lors de la période viking.
Notre arrivée à Stockholm nous remémore celle de Pékin, alors chevauchant nos biclous. Nous y étions entrés par une porte verte, celle d'une forêt sans fin tout à fait inattendue. Et sur des kilomètres nous avons douté de l'exactitude de notre itinéraire. Sommes-nous réellement au coeur d'une mégapole ? L'accès par l'eau à la capitale suédoise nous offre également un environnement de choix. Quelques kilomètres avant notre arrivée au coeur de la ville, Karin nous rejoint à bord de son kayak. Elle est notre contact au sein du club Örnsbergs Kanotsällskap, le plus grand club de Suède avec ses plus de mille deux cents membres. Elle nous introduit dans Stockholm tout comme dans le club. Ce dernier nous offre la possibilité de stocker nos kayaks dans leur local le temps de notre visite de la ville. Sans quoi, nous aurions dû la traverser sans nous y attarder, toujours limités par notre matériel que nous ne pouvons transporter sur terre ni laisser seul en pleine ville. Nous parquons donc nos deux bateaux, qui prennent des allures de paquebots, lorsqu'entourés par les centaines de kayaks élancés entreposés dans le local. Nous y rencontrons également Tommy Karls, sexagénaire médaillé olympique de vitesse en 1984 et qui demeure l'un des kayakistes les plus rapides de Suède selon notre informatrice. Une fois le problème kayak résolu, notre champ des possibles pour dénicher un lieu où poser nos matelas s'ouvre. Et c'est auprès de Beyla et André que nous trouvons l'hospitalité. Nous avions rencontré ce couple de trentenaires sur Gotland, André étant le fils d'Agne. Ils déplacent plantes vertes et guitares de leur bureau pour nous faire de la place. Nous profitons même d'un créneau horaire de libre dans la buanderie de l'immeuble pour faire notre première machine à laver de la saison. Je comprends qu'il y a également une pièce où faire sécher le linge. Lorsque je demande à Beyla combien de temps nous pouvons y laisser nos vêtements suspendus, elle semble perplexe. « Eh bien nous avons deux heures à disposition » me répond-elle. Ce à quoi je m'exclame réflexive « hmmm, le linge n'aura pas le temps de sécher alors». Un ange désorienté passe. Lorsque je me rends compte que la pièce est en réalité une armoire dans laquelle on suspend le linge, munie d'un système de séchage, je comprends qu'une heure sera amplement suffisante... Nous prenons un jour pour parcourir la ville et avons la chance d'arriver au moment où les cerisiers du parc du roi sont en fleurs. Le soir, après une pizza maison qui célèbre l'accès à un four, nous prenons une dernière bière au pub du quartier, en compagnie de Jonas, du groupe « Tennessee Tears », semi-finaliste de la très populaire compétition « Melodifestivalen » dont le vainqueur représente la Suède à l'Eurovision de la chanson. André, guitariste de renom, a accompagné le groupe à l'occasion de ce concours, muni de son bandjo.
La pause terrestre aura été de courte durée, mais intense et riche. A la sortie de Stockholm nous repassons par une écluse et nous trouvons projetés dans un trafic accru de bateaux-pendulaires, bateaux-moteurs de plaisance ou de pêche, de voiliers ainsi que d'énormes ferries de croisières. Nous n'avons aucune difficulté à imaginer qu'en période estivale cela soit une véritable pagaille, comme expliqué par Karin. Plus nous nous éloignons de la capitale, plus l'archipel devient intéressant, composé de petites îles beaucoup plus forestières que celles des archipels traversés jusqu'à présent. Ici aussi trouver un emplacement de bivouac est un réel plaisir car les lieux sans habitation sont pléthoriques et les accès souvent des plus aisés.
Depuis longtemps déjà notre projet est de pagayer jusqu'à Aland, qui se trouve à une distance d'environ quarante kilomètres de la côte suédoise. Karin nous a fait prendre conscience d'un deuxième itinéraire possible. Les deux routes ont leurs propres spécificités et difficultés. L'une exige de l'endurance en raison des distances, l'autre de la technique en raison des hauts-fonds et des courants. Mais l'une comme l'autre requière d'attendre une fenêtre météo adéquate au niveau des vents. Aujourd'hui à la porte de ces voies en haute mer, les prévisions pour les jours à venir ne nous laissent d'autre choix que celui de patienter... / AG
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