Texte satirique paru dans La Vagabond N°3
Je ne sais pas si vous vous êtes déjà rendu à un endroit, en vacances par exemple, et que l’on vous questionne au sujet du temps que vous allez y passer ? Et là, ces deux récurrences voient le jour. Premièrement, le regard déconfit, puis figé, de vos interlocuteurs. Preuve que l’information a bien été reçue, mais qu’elle met du temps à être traitée. Deuxièmement, de la part du plus loquace, l’énonciation d’un commentaire distingué et pertinent du type « Ça va être long ! ». De mon côté oui, je l’ai vécu. Et ceci depuis que j’ai accosté sur Gotland avec mon kayak. Mais qu’est-ce qui va bien pouvoir être long ? Le temps que va prendre la fin de notre discussion, si elle n’évolue pas un peu ? Peut-être. Mais pourquoi vivre six mois sur une île, ou peu importe l’endroit, pourrait paraître long ? Il me semble pourtant évident, et bien connu de tous, que les moments dénués de contenu intéressant sont ceux auxquels l’on prête attention au temps qui passe. Et donc que ce dernier semble passer plus lentement. Par conséquent et de toute évidence, plus le contenu est intéressant, plus on se désintéresse du temps qui passe. Temps qui, de son côté, nous semble passer plus vite. Je peux donc tirer deux hypothèses logiques à ce questionnement méta-temporel (voir formule page suivante pour mieux comprendre la méta-temporalité). Soit on se fait perpétuellement emmouscailler* sur Gotland et les Gotlandais en sont pleinement conscients. Soit je donne l’impression d’être une personne incapable de pouvoir trouver du contenu intéressant à incorporer à mes journées ! Si je voyageais seul, la deuxième hypothèse pourrait être solvable. Mais vu qu’Aline est à mes côtés et vit le même type d’échanges...
*j’avais dans un premier temps souhaité employer un terme plus radical, puis je me suis persuadé qu’élargir mon vocabulaire serait une activité piquante et chronophage. Une activité on ne peut plus adéquate à ma situation !
Sans plus chercher à expliquer ma vision, je me suis fait une raison. Peut-être dans le but d’accueillir cette réalité normative et casanière d’acteurs qui ne semblent pas pouvoir comprendre la nôtre. Selon toute vraisemblance, se déplacer en terre étrangère se doit d’être temporaire et de surcroît extraordinaire... L’ordinaire étant, semble-t-il, réservé à la sédentarité. Avec cette vision de la vie, leur étonnement qui m’était obscure, passe de l’ombre à la lumière. M’ouvrant les yeux sur cet état de fait ! Et voilà pourquoi, pour certains, poser ses sacoches une demi-année à l’étranger, « Ça va être long ! »/OF