Suède
Le printemps se fait timide dans ce coin de pays. L'épais duvet blanc des toits s'amincit tout comme celui des routes. Pourtant, les chutes de neige et les températures négatives restent les standards du bulletin météo. Quoi qu'il en soit, il est temps pour nous de reprendre la route. Mercredi 29 mars, alors que de beaux flocons nous accueillent au réveil, nous refermons la porte d'une maison qui est devenue notre foyer. Partir, c’est laisser derrière soit un bout de vie, une part de soi-même. Après des au revoir et une dernière tasse de café, nous enfourchons nos vélos avec comme premier point de chute Ljungdalen, à environ 200 km.Â
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Reprendre la route, c'est un peu comme retrouver un ami, un complice du passé. Sa compagnie ravive des souvenirs, réveille des habitudes oubliées. Flashbacks inscrits dans le présent. Par contre, le corps n'a guère conservé sa musculature d'antan. Tout est à refaire. Une douleur aiguë au genou d'Olivier dès les premiers coups de pédales nous remettent face à nos limites. L'occasion de mettre en pratique ce que l'on s'est promis : prendre le temps, avancer au rythme qui nous convient. Rien ne presse. Pédalons tant qu'on peut, marchons lorsqu'il le faut. Le compteur ne sera pas le maître. Une première mise en pratique prometteuse puisqu'après quatre jours la douleur s'estompe.
Durant notre premier voyage, rarement nous avons dû faire face à l’hiver, à la neige, à la glace, aux températures négatives continues. La première surprise a été la rupture subite de toutes les anciennes fermetures de nos sacoches. Le froid sera venu à bout du plastique en un claquement de doigts. Nous campons la première nuit au bord d'une rivière, peu après Idre. Si la route a été sèche jusqu'ici, elle est bien le seul élément exempt de neige. Nous posons donc la tente sur un tapis glacé. Le lendemain matin, nous devons user de stratégie pour sortir les sardines de leur prison de glace. La gestion de l'eau n'est pas aisée lorsque les températures n’atteignent jamais le positif. Elle se fige dans les gourdes ; impossible de l'en faire sortir à moins d'opérer un bain-marie ou d'y ajouter de l’eau chaude. Sauf que de l'eau chaude… nous n'en avons pas. A la première tentative de cuisine, notre réchaud fuit. Inutilisable. Température en cause ? Cela reste à étudier.Â
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La première nuit est froide. Un villageois nous dit avoir relevé -17 degrés. Difficile de bien se reposer dans ces conditions. La 2ème journée de voyage, nous le savons, sera la moins clémente. Froid et neige. Nous voyons la route qui se drape à nouveau de son duvet blanc. Elle exige de nous une prudence supplémentaire dans les descentes mais la conduite se fait finalement sans trop de peine. Au soir, nous profitons d'une place de pic-nic pour établir notre campement. La chance nous sourit et nous découvrons des WC, qui deviendront notre salle de séjour, ainsi qu'un petit local de rangement juste assez grand pour nos matelas. Une nuit froide, à nouveau. Au matin, en quête d'eau chaude, nous frappons à la porte d'un bureau de police. On nous ouvre aimablement la porte. Nous en profitons pour retirer les blocs de glace de nos gourdes et pour faire le plein d'eau chaude, avec l'espoir qu'elle reste à l’état liquide les heures suivantes. La perspective d'un café chaud suffit à égayer la matinée. Et c'est peut-être bien là que se niche l’une des raisons pour laquelle nous sommes repartis en voyage. Non pas pour le café en tant que tel. Mais pour la valeur que peut prendre dans ce contexte un « acte » d’ordinaire anodin.
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Après le passage du village le plus haut de Suède, nous pique-niquons à côté d'une ferme peuplée de vaches écossaises. Le fermier, venu nous saluer, nous explique qu'à l'époque, sa famille élevait des vaches de montagne traditionnelles et que la flore environnementale permettait d’obtenir une haute qualité de viande et de lait. Mais il y a quelques générations, sa famille a été contrainte de vendre son terrain à l’État, lequel l'a donné, ou restitué, au peuple sami. Depuis, les fermiers doivent maintenir leurs animaux dans l'enceinte de leur propriété, autour de laquelle broutent librement les rennes. Derrière ses mots, même si le ton est aimable et la personne sympathique, il n'est pas difficile d'y voir de l'amertume. Une question de territoire. Une question de peuples…Â
Derrière ses mots, même si le ton est aimable et la personne sympathique, il n'est pas difficile d'y voir de l'amertume.
Nous commençons à affûter notre regard et trouvons une nouvelle aire de repos pour la nuit. Un ponton en bois de la taille de notre tente nous permet de monter celle-ci sur un sol sec. Une solution bienvenue au vu des précipitations nocturnes. Nos affaires sont néanmoins trempes, mais nous savons que le soir suivant, un abri nous attend. Cette perspective allège l'effort, rend la pluie moins humide, le froid moins intrusif.
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Le décor qui nous enveloppe jusqu’à Ljungdalen est splendide. Nous nous élevons sur des plateaux dépourvus de végétation, où la vue n'a aucune limite. Sur 360 degrés, l'horizon. Un horizon composé de montagnes enneigées et de néant. Une pleine étendue lisse et blanche qui se meurt sans rupture dans un ciel bleu cristal. Aquarelle arctique. Dans ce tout, une route. Brune. De boue. Pousser les vélos est par moment moins pénible car le vélo s'enfonce dans ce terrain mou. Balayant ce tout, le vent. Dans le dos. Bénédiction des éléments.Â
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En fin d'après-midi, atteignant les limites de mon énergie, se dresse devant nous la maison de Patrick, un ami qu'Olivier a connu durant sa première formation. Sa voiture confirme que oui, ce soir nous dormirons au sec, au chaud. Bonheur.
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